mercredi 31 janvier 2018

Délation sur ordonnance


Délation sur ordonnance de Bernard Prou aux éditions Anne Carrière


Oreste, spécialiste en livres anciens, est appelé à Pau pour estimer la bibliothèque dont Laurence Lepayeur vient d’hériter de son grand-père. Il commence par fureter parmi les livres, se saisit d’un volume, quand un papier en tombe. Il s’agit d’une ordonnance bien particulière. Sur un papier à en-tête au nom du Docteur Saint Marly, il découvre une lettre de délation datant du 19 décembre 1942, dénonçant quatre « mauvais français ». Perturbée par cette découverte, Laurence charge Oreste d’enquêter sur l’histoire de sa famille. Peu de temps avant de mourir, son grand-père lui avait dit que cette bibliothèque contenait tout l’histoire de la famille.

Oreste accepte la mission. Cette période le fascine pour des raisons que vous apprendrez en lisant le livre. Il commence par inspecter le volume duquel s’est échappée l’ordonnance : Les Beaux Draps de Louis-Ferdinand Céline. À la fin du pamphlet, il découvre cette phrase sibylline : « La cuisine était propre ». Intrigué par cette inscription, Laurence lui propose de chercher cette phrase sur internet. C’est l’incipit de La Table aux Crevés de Marcel Aymé. Oreste et Laurence se lancent à la recherche de ce volume dans la bibliothèque. Commence alors un jeu de piste qui va révéler aux deux enquêteurs une partie de l’histoire de la famille. L’auteur nous invite d’ailleurs à enquêter nous-mêmes en nous proposant les phrases écrites à la fin de chaque livre pour dévoiler le suivant. Comme moi, jouez le jeu, cela donne encore plus de sel à la lecture. Pour ceux qui veulent s’éviter cette peine, les réponses se trouvent à la fin du roman.

Cette lettre de dénonciation nous plonge dans la période trouble de l’occupation. Le docteur Saint Marly ne se doutait pas en l’écrivant qu’elle allait avoir des conséquences pour toute sa famille. Les quatre « mauvais français » qu’il dénonce avait tous des relations quelconques avec ses enfants.

Bernard Prou nous fait vivre l’occupation comme si nous y étions. Il décrit la vie quotidienne au travers de personnages qui auraient pu appartenir à la majorité des familles de l’époque. Du trafiquant profitant du marché noir, au lycéen résistant de la première heure, de l’amoureuse d’un soldat allemand au haut fonctionnaire collaborationniste qui couvre ses arrières pour éviter d’être inquiété après la libération, c’est le portrait de la France pendant la deuxième guerre mondiale que nous dresse Bernard Prou. Ce roman nous interroge : qu’aurions nous fait à cette période et dans ces circonstances. Aurions-nous été résistants, collabos, ou plus simplement, comme une majorité de français aurions-nous juste cherché à survivre le moins mal possible.

« - C’est une banale lettre de dénonciation, si j’ose dire, comme il s’en écrivit des centaines de milliers à la même période. Celle-ci a le mérite de ne pas être anonyme, ce qui ne diminue pas la laideur du geste. Vous savez, Laurence, cette époque a marqué toutes les familles qui depuis lors trimballent d’inavouables turpitudes ! Il y avait alors 2,5 pour cent de collabos acharnés, 2,5 pour cent de résistants obstinés et 95 pour cent de Français inertes. Il fallait subsister. Nos grands-parents étaient des subsistants. Comme nous le serions nous-mêmes si cela se reproduisait. »

Fasciné par cette période extrême, révélatrice de l’âme humaine, j’ai dévoré ce passionnant roman. Bernard Prou par sa plume pleine d’une verve souvent jubilatoire m’a cueilli dès le début du roman pour ne plus jamais me lâcher. Les dialogues entre le docteur Saint Marly et Louis Destouches alias Louis-Ferdinand Céline, sont particulièrement savoureux. Avec Délation sur ordonnance, j’ai découvert un auteur que j’ai hâte de retrouver. Je vous le recommande vivement.


Bernard Prou est diplômé de l’École nationale de Chimie Physique Biologie à Paris et de l’université de la Sorbonne. Il a enseigné les mathématiques et la physique. Délation sur ordonnance est son deuxième roman. Alexis Vassilkov ou la vie tumultueuse du fils de Maupassant, son premier roman a été publié en 2016. Je vous en parle bientôt.

vendredi 12 janvier 2018

La grande roue


La grande roue de Diane Peylin aux Editions Les Escales


La grande roue est un roman choral qui met en scène quatre personnages principaux.

Emma est une jeune femme qui se sent transparente. Ses parents ne se sont jamais occupé d’elle, elle ne semble pas compter pour eux. En été 1986, elle rencontre Marc au pied d’une grande roue. L’homme l’aborde et Emma est immédiatement sous son charme. N’attendant plus rien de sa vie de famille, elle fait ses bagages et part vivre avec lui. Elle vit un véritable conte de fées. Marc est bel homme, charismatique, il ne sait pas quoi faire pour lui faire plaisir et lui montrer qu’il l’aime. Il l’appelle sa « poupée ». Emma est tellement amoureuse qu’elle ne se rend pas compte que le prince charmant peut parfois cacher un ogre.

Tess erre sans but dans les rues. Elle semble désorientée. Les autres passants l’évitent. Elle ne sait même plus qui elle est.

« Tess ne reconnait rien ici. Ni le nom des rues, ni les bars, ni les visages. Dans la nuit, tout est un peu vaporeux. Aveuglée par les néons qui déchirent la pénombre, la belle à la robe rouge poursuit son errance au milieu de la foule. Elle a l’impression de marcher à contre-sens mais sur le trottoir il n’y a pas de sens. Les gens vont et viennent dans un désordre minuté, d’un point A à un point B. Comme si tout était là, dans ce point A et ce point B. Tess sent sa gorge se serrer. Une question lui bloque la trachée. Une question épaisse, lourde et indigeste, entraînant un tourbillon de questions.
Que fait-on lorsqu’on n’a que le point A ? Que le point B ? Ou ni le point A, ni le point B ? »

David roule sur une route de montagne. Il se rend vers son nouveau travail, vers sa nouvelle vie. La tempête de neige rend la conduite difficile, David se sent fiévreux, sa vue se trouble, il est sujet à des vertiges. David est inquiet. Deviendrait-il fou. Il ne reconnaît plus son corps qui semble changer d’aspect, se métamorphoser. Il sait qu’il s’appelle David Bresson mais même de cela, il n’est pas complètement sûr.

Nathan est assis face au commissaire Field. Comme régulièrement depuis des années il a été convoqué. Le lecteur ne sait pas pourquoi. La raison de cette convocation tient à une affaire non résolue qui tient particulièrement à cœur au commissaire, qui le touche personnellement.

Comme les personnages de Diane Peylin, en quête de leur identité, j’ai été trimbalé tout au long de l’histoire. Comme eux je me suis retrouvé dans une ambiance de fête foraine, dérangeante, à la David Lynch. Comme Tess dans son labyrinthe urbain, comme David qui semble enfermé dans un palais de miroirs déformants, j’ai été déstabilisé par la construction diabolique de ce superbe roman. Peu à peu les pièces du puzzle se mettent en place, petit à petit, Diane Peylin distille son passionnant venin.


J’avais découvert la plume de Diane Peylin avec Même les pêcheurs ont le mal de mer qui avait été un de mes coups de cœur de l’année dernière. J’attendais donc avec une impatience mêlée d’appréhension ce nouveau roman. Vous l’aurez compris, j’ai été tout aussi séduit par La grande roue. Tant par sa construction que par la plume de l’auteur. Un style qui nous fait ressentir à la perfection la confusion, les émotions de ses personnages. La grande roue est mon premier coup de cœur de cette nouvelle année.

mercredi 10 janvier 2018

Faux départ



Faux départ de Marion Messina aux éditions Le Dilettante


Aurélie est fille d’ouvriers à Grenoble. Le bac en poche, elle veut poursuivre ses études. Surtout ne pas mener la même vie que ses parents qui ont toujours tiré le diable par la queue. Elle a d’autres aspirations. Elle s’inscrit en fac de droit plus pour les débouchés qu’offre cette filière que par goût.

« Si elle était née dans une autre CSP elle aurait poursuivi des études littéraires, mais elle avait choisi le droit pour rassurer ses vieux. Il y avait des débouchés lui disaient-ils, tout fiers de montrer leur connaissance du marché du travail. Elle avait déjà un crédit sur le dos pour financer son permis de conduire. Elle s’ennuyait terriblement. Au code, en cours, dans les soirées étudiantes où elle se forçait à aller pour se socialiser, avec ses voisins d’amphi, en séances de travaux dirigés, au milieu de ses parents, dans les transports en commun, dans les centres commerciaux. Elle avait dix-huit ans. »

Pour financer ses études, Aurélie trouve un petit boulot dans une entreprise de nettoyage en charge de la résidence universitaire. C’est là qu’elle rencontre Alejandro, un étudiant colombien venu terminer des études littéraires en France. La jeune fille tombe amoureuse du jeune sud-américain. Ils entretiennent une relation déséquilibrée. Pour lui, Aurélie est un passe-temps agréable mais il fuit tout type d’engagement.

« Cela faisait déjà quelques semaines qu’elle passait chez lui, uniquement pour faire l’amour. Ils ne parlaient que très peu, par pudeur et joie de ne pas avoir à faire semblant de mener des discussions de courtoisie. Les relations entre individus étaient toujours intéressées. Pour combler un vide, passer le temps ou faire l’amour. Nul besoin de parler si les personnes partagent le même objectif. »

Faux départ nous décrit la vie de ces deux étudiants précaires, insistant sur toutes leurs galères de manière radiographique. Les petits boulots, la séparation, la vie difficile à Paris, les soucis de logement, la précarité du monde du travail en début de carrière, rien ne nous est épargné.


Malgré un style vif très prometteur, ce roman ne m’a pas convaincu. Trop de pessimisme, nuit au propos, le rendant presque caricatural. Ce qui m’a manqué dans ce livre, ce sont les émotions. Les personnages semblent subir les situations passivement, sans réaction, j’ai eu beaucoup de mal à ressentir de l’empathie pour eux, à m’identifier à eux. Je suis resté au bord du chemin.