lundi 31 octobre 2016

Sans lui



Sans lui de Catherine Rolland aux éditions Mon village


«Depuis que c’est arrivé, je cauchemarde presque toutes les nuits.

La psy dit que c’est normal. Tu sais bien, celle qu’ils avaient voulu t’imposer et que tu n’es jamais allé voir, si bien qu’après quelque temps c’est moi qui ai fini par occuper tes créneaux de rendez-vous.
Bon sang, si on m’avait dit qu’un jour j’irais m’épancher dans le giron d’une psy… Je peux toujours me mentir en prétendant que ce n’est pas pour moi que je le fais et que c’est pour t’aider, personne n’est dupe, à commencer par elle.
Ce n’aurait sans doute pas été pire si j’avais été aux Jonquières ce soir-là.
La psy dit qu’il nous faudra du temps, à toi comme à moi, pour réussir à oublier. Si tu veux mon avis, je doute qu’on y arrive jamais… »

Eux, ce sont les jumeaux Sostein : Ethan et Lénaïc. Des jumeaux identiques, fusionnels. Ils ont vécu un terrible drame : l’incendie de la ferme familiale, le décès de leurs parents dans le brasier.

Ethan et Lénaïc vont réagir différemment à cette tragédie. Le premier va aller consulter la psy que le second refuse de voir. Il va accepter les choses, vivre avec. Le second, présent dans la fournaise, va se retrancher du monde des hommes, se contentant du peu de vie sociale nécessaire à sa survie. Il ne se sent bien qu’avec son frère et avec l’art. Lénaïc est un artiste de talent, il est passionné par les œuvres du Caravage et passe son temps libre à reproduire au détail près l’œuvre du maître.

Avec eux, entre eux, deux personnages tentent de vivre : Flore, l’amie d’enfance, la petite amie d’Ethan, et Olivier, le prêtre qui les a recueillis après le drame et qui est le seul à les comprendre.

Ethan décide de partir, de fuir les lieux du drame en abandonnant Flore. Il propose à Lénaïc de l’accompagner à New York, mais celui-ci refuse. Il ne se sent bien qu’ici sur les lieux qui ont vu son enfance.

Comment vivre sans l’autre, cet alter ego, ce miroir sans lequel Lenaïc n’imagine pas exister ? Comment vivre dans ce sentiment d’incomplétude ? Comment vivre après un tel drame et l’affronter seul ? Même si Flore et Olivier sont présents, comment vont ils trouver leur place aux cotés de ce couple gémellaire, même éclaté ? Comment vont-ils pouvoir aider Lénaïc ? Et cette Madeleine qui débarque et qui semble savoir beaucoup de choses sur les Sostein, qui est elle ?

C’est à un drame psychologique passionnant que nous convie cette fois, Catherine Rolland. Elle y démontre une fois de plus son formidable talent de conteuse. Laissez-vous, vous aussi,  emporter par cette histoire pleine de rebondissements. Plongez-vous dans la personnalité de ces jumeaux. Un roman qui se lit d’une traite tant les personnages sont fouillés et l’intrigue bien menée. Si vous ne la connaissiez pas encore, Catherine Rolland est un auteur à découvrir.

« – Je ne bougerai pas de Saint Julien, Olivier. Je te l’ai déjà dit : quand Ethan se décidera enfin à revenir, il ne manquerait plus que je ne sois pas là !
Le prêtre, d’en bas, le suivait des yeux comme il évoluait entre ciel et terre, sans vertige apparent. Il murmura :
– Tu sais, petit… Peut-être bien qu’il ne reviendra pas. Peut-être qu’il faudra que tu finisses par te faire à l’idée qu’il n’est plus avec toi…
Il avait, comme toujours lorsqu’il évoquait Ethan, parlé avec beaucoup de réticence, conscient que le terrain était mouvant. Mais contrairement à ce qu’il aurait pensé, le cadet Sostein resta de marbre, répondant d’une voix ferme, tandis qu’il rectifiait l’azur moucheté d’un nuage :

– Aie la foi, curé. »

mercredi 26 octobre 2016

La vitre



La vitre de Fabien Muller chez Olivier Morattel Editions




« Je suis née à sept mois.

Pas pu attendre. Ma mère m’a expulsée distraitement, avec détachement, comme on sort les poubelles. Il ne me manquait plus que le sac plastique et le nœud autour de la tête. Ou peut-être le nœud y était-il. C'est pour ça que je ne respirais pas. »


Hélène est née prématurée. Elle a passé les premiers mois de sa vie derrière la vitre protectrice d’une couveuse. Son enfance entre un père parti très tôt et une mère indifférente et soucieuse de sa tranquillité, n’a fait que renforcer cette impression de passer sa vie dans une sorte de bulle à la fois protectrice et isolante.

Hélène est devenue une femme perturbée, en retrait du monde, en état de dépression permanent. Evitant le plus possible le contact avec ses contemporains. Son existence, elle la mène recroquevillée sur elle-même, singeant la sociabilité quand il le faut.

« Jeudi. Dîner avec Alice. Ma vie est réglée comme du papier à musique (qui jouerait une mélodie un peu barrée tout de même). J’ai peu d’amis, mais j’entretiens ces relations, j’ai trop de respect pour la faculté exceptionnelle dont doivent être dotées les rares personnes qui me supportent. Je lutte très fort en général pour ne pas me considérer comme un boulet avant de les voir, j’ai tout un protocole de préparation pour ne pas fuir devant l’obstacle »

La vie d’Hélène va se trouver bouleversée par une rencontre et par un drame. Cette vitre qui la protège et l’isole va peu à peu se fissurer. Je ne vous en dirai pas plus. Lisez le livre !


Par son style dynamique, fluide, à l’humour corrosif, Fabien Muller nous fait entrer dans la tête d’Hélène, nous fait vivre ses questionnements, son mal-être. Tantôt on a envie de la consoler, tantôt de la bousculer, de la faire réagir. Hélène nous raconte sa vie au jour le jour, comme dans un journal sans date. Son récit est entrecoupé d’interludes savoureux. Avec La vitre, Fabien Muller signe un roman passionnant, plein de sensibilité et d’humour. Une très belle découverte.

mardi 18 octobre 2016

Même les pêcheurs ont le mal de mer



Même les pêcheurs ont le mal de mer de Diane Peylin aux éditions Les Escales



Salvi Orozco est fils et petit-fils de pêcheurs. Il a fui son île, une île volcanique pas nommée ou la seule activité est la pêche. Salvi a le mal de mer mais est-ce la seule raison pour laquelle il a décidé de rompre avec un avenir tout tracé ?

Chez les Orozco, hors la pêche, point de salut. On vit dans un île ou seule la mer, le travail rythment les journées. Le reste du temps on se repose, on se nourrit. Ce qui caractérise cette famille, c’est la monotonie, le silence. Les jours se suivent et se ressemblent. On ne se parle pas. Les mots doivent être utiles à la vie quotidienne. Pas de mots d’amour, pas de communication.

C’est cette atmosphère de plomb que Salvi a décidé de fuir. Comme son père et son grand-père, il aurait pu lutter contre le mal de mer et embrasser la carrière de pêcheur. Salvi vit maintenant sur le continent où il travaille dans le domaine de l’informatique la journée et se produit comme clown, le soir. Une lettre lui annonçant le décès de son grand-père va le forcer à retourner sur l’île sur laquelle il n’a plus remis les pieds depuis neuf ans, depuis le décès de son propre père. Ce retour au sources lui permettra-t-il de combler les vides de son histoire, les mots seront-ils enfin dits ? Pourra-t-il enfin vivre sa vie pleinement ?


Tour à tour le père et le grand-père s’expriment. Nous sommes plongés dans cette famille dans laquelle les hommes sont durs au mal, taiseux, où les femmes meurent jeunes. Les Orozco semblent victimes d’une sorte de malédiction. Chez les Orozco, on travaille et on se tait. Les seuls mots gratuits prononcés sont ceux des histoires, des contes racontés par le grand-père. Et pourtant, il y aurait des choses à se dire dans cette famille. Des secrets qui pèsent et qui empêchent de se construire. La malédiction qui frappe les Orozco est celle de ces maudis mots non-dits. Ces mots qu’on n’utilise pas de peur de blesser mais qui sont encore plus dangereux lorsqu’ils sont tus. Ces mots d’amour, d’affection qui manquent cruellement. Comme l’île elle-même, cette absence de mot est une prison dont il est difficile de s’échapper. Qu’il est dur à franchir ce mur du silence.

Cette malédiction, c’est aussi celle de la reproduction du schéma paternel sur plusieurs générations. Les pères sont là pour assurer la subsistance quand ils ne fuient pas. Leur rôle est limité à cela. L’homme doit être fort, sans faiblesse. Cette image faussée dès le début les ronge, les rend malheureux. Les femmes, elles-aussi, sont contaminées par ce silence. Elles s’étiolent, en meurent ou se réfugient dans la folie.

Même les pêcheurs ont le mal de mer est un roman poignant, émouvant, passionnant. Plus que le mal de mer, c’est un profond mal de vivre que ressentent ces trois hommes (le grand-père, le père, et le petit-fils), un mal de vivre encore plus persistant du fait qu’il n’est pas exprimé. Diane Peylin a parfaitement su rendre ce poids du silence dans la famille, ce lent poison du secret. Un très beau roman dont vous ne sortirez pas indemne.