mercredi 26 août 2015

Le Français



Le Français de Julien Suaudeau aux éditions Robert Laffont (Rentrée littéraire 2015)



Le narrateur est un jeune homme sans histoire. Il traîne son ennui à Evreux, ville moribonde dans laquelle les perspectives sont rares. Il travaille comme livreur. Seule Stéphanie, la jeune femme dont il est amoureux apporte un peu de joie à sa morne vie même si cet amour est à sens unique. A la maison sa vie n'est pas rose non plus. Sa mère malade cherche du travail en vain et son beau père passe son temps à le rabaisser et à le tabasser.

   Un soir avec Stéphanie, ils se rendent à l'invitation d'une petite frappe locale, sur les pistes désaffectées d'un aéroport pour un rodéo à moto dans lequel le voyou  a un accident duquel il succombera. Pour échapper à la police ( qui ne l'a jamais suspecté de quoi que ce soit) mais surtout pour fuir une vie dont il n'a rien à espérer, il se rapproche de trafiquants "Yougoslaves" pour gagner son billet de sortie. Le responsable le met en relation avec un gérant de cyber cafés à Bamako. C'est le départ tant espéré.

  A Bamako, ce Français de souche va, par ennui, pour s'occuper, par politesse, découvrir l'Islam et rapidement du fait des fréquentations de ce patron tomber dans l'engrenage de l'islamisme.

   "Seul Allah est digne d'être loué et Mahomet est son prophète.
     Les jours ont passé et je me suis habitué à ce baratin. Si vous vous répétez n'importe quoi assez longtemps, tôt ou tard vous finissez par y croire. C'est le cours naturel des choses. Les publicités fonctionnent de cette façon, la musique des mots vous donne envie de croire qu'ils sont vrais. Le Coran, je le lisais, je voyais bien qu'on me racontait des histoires, et en même temps je m'habituais peu  à peu à ces phrases qui vous présentent le monde sous un jour simple et bien ordonné. Pas de place pour la complication ou l'entre-deux : soit il en allait ainsi, soit il en allait autrement. J'avais gaspillé beaucoup de temps jusqu'ici à comprendre, à soupeser, alors qu'il suffit de dire les choses pour qu'elles prennent de l'épaisseur."

   Le Français, roman d'actualité s'il en est, nous montre que l'embrigadement djihadiste n'est pas une affaire de religion. Des hommes avides de pouvoir et d'argent proposent à des jeunes sans avenir, sans repaires, une occasion de donner un sens à leur vie. Ils recrutent des jeunes paumés en colère, s'assurant de la sorte une armée gratuite et dévouée pour mener à bien leurs projets. L'Islam n'est que la justification, que le décorum de leur ambition.

  Ce qui rend ce roman passionnant, c'est l'ambiguité du narrateur. A aucun moment il n'adhère à la doctrine islamiste. Il se rend compte très tôt dans quel engrenage il a mis la main. Il est intelligent mais ne se voit pas d'avenir. Il plonge dans l'islamisme pour avoir une vie. Outre le problème de l'islamisme c'est le problème de l'absence de perspective dans les banlieues et les villes dortoirs qui est pointée du doigt dans ce roman. Ces jeunes désoeuvrés, sans avenir forment le terreau de l'embrigadement car il offre à ces jeunes un cadre et un but.

  Le Français est le deuxième roman de Julien Suaudeau, un roman passionnant, dérangeant. A découvrir. 

  "En les observant, j'ai pensé que c'était écrit : les déchets de la grande illusion, de la vie, de la civilisation, réunis pour former les contingents de barbares qui devaient tout détruire. C'était inévitable que nous pensions être frères.
   Qu'est-ce-que nous savions ? Rien de solide en définitive. Notre ignorance du monde était totale. Nous savions qu'il fallait le faire partir en flammes, et c'était suffisant. Nous savions tous que nous étions déjà morts. En vie mais pas vivants. Cassés. Irrécupérables. "

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