mardi 31 mars 2015

Une vie entre deux océans



Une vie entre deux océans de M.L Steadman aux éditions Le Livre de Poche





   C'est en héros que Tom Sherbourne rentre en Australie à la fin de la première guerre mondiale. Mais que sont les honneurs quand on est hanté par les images, les cris de ses camarades morts au combat. Intact physiquement, Tom est traumatisé par ce qu'il a vécu en Europe. Il doit essayer de reconstruire sa vie. Le gouvernement australien recherche des gardiens de phares, ces postes sont offerts en priorité aux soldats habitués à la rigueur militaire et aux conditions de vie difficiles que ce métier impliquent. Tom est recruté pour le phare de l'île de Janus, le phare le plus éloigné de la côte australienne. Une île sur laquelle il va d'abord vivre seul lors d'un remplacement puis avec sa femme Isabel, rencontrée entre temps lorsque ce poste temporaire deviendra définitif.

   27 avril 1926, alors qu'Isabel se recueille sur la tombe de leur enfant mort né, le troisième deuil après deux autres grossesses qui n'étaient pas allées à leur terme, Isabel entend les cris d'un bébé et se croit victime de son imagination. Tom accourt car il a vu un canot accoster sur la plage. Le canot de loin semble vide. Ils y trouvent un homme mort et un nourrisson, lui bien en vie. Isabel y voit un signe du destin. C'est Dieu qui lui envoie ce petit être dont le père est mort et dont la mère s'est probablement noyée. Tom doit rapporter l'événement aux autorités mais Isabel le persuade de ne rien dire. Après les deuils qu'elle a subis Tom consent à ne rien dire et la petite Lucy va s'installer dans leurs vies. Mais Tom est tiraillé entre son amour pour sa femme et l'enfant, et son devoir. Et si l'enfant manquait à une mère? Après deux ans de vie avec Lucy, les doutes de Tom vont se confirmer. La mère de la fillette est bien vivante.

   Dans ce roman passionnant, émouvant, poignant, M.L Steadman nous montre le destin tragique d'un couple. Comment un coup du sort va bouleverser à jamais leurs vies. Comment ils vont réagir ensemble et individuellement à l'arrivée de cet enfant d'une autre. Elle tout à son bonheur, ignorant la possibilité que l'enfant puisse manquer à quelqu'un, le considérant comme un cadeau de Dieu. Lui, cédant par amour  au désir d'enfant de sa femme, met, un temps, un mouchoir sur sa conscience, essaye de vivre le bonheur d'avoir enfin une famille mais ne le peut pas car submergé par le remords. Ce premier roman est un coup de maître, un livre profond, juste et précis dans sa description psychologique des personnages. Un roman bouleversant, profondément humain. Que ferions nous à la place de Tom et Isabel? 

  "Ce soir là, Tom prit une bouteille de whisky et s'en alla regarder les étoiles près de la falaise. La brise jouait sur son visage tandis qu'il repérait les constellations et savourait la brûlure de la boisson. Il concentra son attention sur la rotation du faisceau et eut un petit rire amer à la pensée que cette pointe de lumière signifiait que l'île elle-même était toujours plongée dans le noir. Un phare, ça fonctionne pour les autres ; il est impuissant à éclairer l'espace le plus proche de lui."


  "- Tu veux dire que tu es coincé avec moi?
    - Je veux dire que j'ai promis de passer ma vie avec toi. Et que je n'ai pas changé d'avis. Izz, j'ai appris à la dure que, pour avoir un avenir quelconque, on doit abandonner tout espoir de jamais changer son passé."


   

jeudi 26 mars 2015

Souvenirs de lecture 5 : Gaëlle Josse




Souvenirs de lecture 5 : Gaëlle Josse


   Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui c'est à Gaëlle Josse que j'ai voulu poser ces questions. Je la remercie chaleureusement pour son temps si précieux, sa gentillesse et sa disponibilité jamais démentie.


LLH :  Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus marqué, et pourquoi?


GJ        Au sortir des lectures enfantines et des premières lectures adolescentes avec Balzac, Zola, Hugo, Kessel, Bazin, Mauriac, la "littérature jeunesse" étant alors un concept inconnu, j'ai rencontré, en fin de collège ou en seconde, un livre qui m'a profondément marquée, La chute de Camus. Je crois y avoir trouvé tout ce que j'attendais d'un livre, sans le savoir. Plus d'histoires à rebondissements, plus "d'intrigue", plus de personnages flamboyants, de dialogues percutants, de descriptions de robes, de chapeaux. Simplement un livre qui murmure à l'oreille des choses essentielles. Ou peut-être, plus précisément, l'intuition de choses essentielles pour plus tard, car je ne pouvais pas alors tout comprendre de cette histoire, seulement deviner tout ce qu'elle portait en elle.

            La confession d'un homme à un inconnu, une nuit, dans un bar d'Amsterdam, autour de quelques verres de genièvre, avec le port, la mer, tout proches. Une atmosphère prenante, juste évoquée. Un homme se retourne sur son passé, sur un geste qu'il n'a pas su faire, sur un remords. Sa vie a basculé pour ce moment d'indifférence.

            J'ai trouvé là, dans un format très court, un livre qui interroge sur le sens de nos actes, sur notre juste place dans le monde, sur nos failles et nos désespoirs, sur notre solitude et nos envies de partages fraternels. Sur l'impossible oubli. Sur la mémoire obstinée. Sur la place de l'Autre dans nos vies. Sur le temps et sa nécessaire remontée, à l'aveugle. Sur la fragilité de nos certitudes. Je n'ai jamais relu ce livre. Il est en moi.



LLH : En quoi ce livre a-t-il influencé votre désir d'écrire?

GJ :    Difficile d'établir un lien direct et conscient ! Je suis venue beaucoup plus tard à l'écriture, mais votre question me fait réfléchir car je m'aperçois que finalement, je poursuis ces questions en écrivant, en tentant d'approcher quelques personnages au plus près d'eux-mêmes, de leur vérité intérieure, de leurs aveux, de leur intimité, de leurs blessures.

           Peut-être ce livre m'a-t-il fait prendre conscience qu'il suffit parfois de très peu de choses pour faire un livre fort, qu'il faut se débarrasser de ce qui encombre, de ce qui alourdit, pour rester dans la tension du texte, dans la tension intérieure des personnages. Une leçon, j'avoue que je n'avais jamais fait le lien.


LLH : Quelles sont vos dernières lectures coup de coeur?

GJ :     Dans le désordre, quelques-unes de mes plus belles lectures de ces derniers mois :

            Lambeaux, de Charles Juliet. Une langue éblouissante, une densité humaine, c'est d'une somptueuse beauté.

           Danser les ombres, de Laurent Gaudé, que j'admire tant. Le dernier chapitre est d'une force hallucinante, il faut absolument découvrir ça.

           Tristesse de la terre, de Pascal Vuillard, fascinante déconstruction du mythe américain, à travers le génocide amérindien et la mégalomanie de Buffalo Bill, un livre sur l'imposture, tout compte fait.

           Et aussi Le Chardonneret, de Donna Tartt, un pavé que je n'ai pas lâché, roman total extraordinaire, sur la perte, sur l'art, sur l'amitié, sur l'amour. 

           Et j'ajouterai la découverte d'un Modiano que je n'avais pas lu, La petite Bijou. L'un de mes préférés, tout compte fait, terriblement poignant sur l'enfance délaissée, mal-aimée, maltraitée. Il n'y a que Modiano pour installer, avec presque rien, ces personnages et des atmosphères uniques, à peine esquissées, tout se lit dans les blancs, les creux. Et c'est alors un vertige.


Biographie


   Après des études de droit, de journalisme, de psychologie et quelques années passées en Nouvelle Calédonie, Gaëlle Josse travaille à Paris comme rédactrice dans un magazine et anime également des rencontres autour de l'écoute d'oeuvres musicales et des ateliers d'écriture auprès d'enfants de d'adultes.

Poésie :  L'empreinte et le cercle, chez Encres Vives, 2005
               Signes de passage chez Hélices/Poésie terrestre, 2007

Romans : Les heures silencieusesaux Éditions Autrement, 2011
                 Nos vies désaccordées aux Éditions Autrement 2012
                 Noces de neige, aux éditions Autrement 2013
                 Le dernier gardien d'Ellis Island, aux éditions Noir sur Blanc collection Notabilia 2014


Encore un grand merci à Gaëlle Josse pour sa gentillesse. Tous les titres des romans de Gaëlle ayant fait l'objet d'une chronique sur ce blog sont colorisés et disposent d'un lien intégré vous permettant d'accéder à la chronique en question d'un simple clic.





mardi 24 mars 2015

Bérénice 34-44




Bérénice 34-44 d'Isabelle Stibbe aux éditions Le Livre de Poche


   Quelle idée d'appeler sa fille Bérénice quand on est russe, juif,  installé en France pour fuir les pogromes dans son pays d'origine. S'il avait su quel destin attendait sa fille, Maurice Capel y aurait réfléchi à deux fois. Très tôt Bérénice n'a aucun doute sur ce qu'elle veut faire. Elle n'a qu'une passion : le théâtre, qu'un but : la Comédie Française. Comme si son prénom, l'historique de son choix, avaient conditionné la vie de la petite fille.  Mais ses parents, fourreurs, voient d'un très mauvais oeil la vocation de leur fille. Avec la complicité de Madame de Lignières, Bérénice trouve le moyen de passer le concours d'entrée au Conservatoire dont elle sort première. Sa vocation est telle que la jeune fille soumise à un cruel ultimatum de la  part des ses parents, préférera quitter le cocon familial, être reniée par son père pour pouvoir vivre sa passion pleinement;


   La première partie du roman  nous montre les différentes étapes qui mèneront la jeune Bérénice Capel, devenue Bérénice de Lignières, jusque sur les  planches de la Maison. On y découvre l'apprentissage des futurs comédiens, les coulisses du Conservatoire puis de La Comédie Française. On y  vit la passion de Bérénice, son intégration complète dans ce milieu, ce sentiment de troupe, de famille qu'elle ressent comme jamais avant. Mais sa vocation, Bérénice la vit dans une période agitée et une petite phrase sinistre vient comme un refrain nous avertir que le drame est proche.

   "Elle ne racontera pas à ses petits enfants, ni même à ses enfants..."

  Car la tempête gronde, Hitler est au pouvoir en Allemagne et ses visées expansionnistes vont mettre le feu aux poudres. Malgré les suppliques de son mari, juif allemand ayant quitté l'Allemagne à l'arrivée au pouvoir d'Hitler, Bérénice ne vit que pour la Comédie Française, que pour la tragédie.


   Ce roman nous peint le portrait d'une femme passionnée, d'une femme pour qui le théâtre est la vie. Une personnage tour à tour attachant et agaçant tant sa passion l'aveugle. Sa vocation d'actrice la rend pendant une bonne partie du roman, complètement aveugle et sourde à ce qui se passe en dehors du théâtre. Elle se croit protégée par sa célébrité.

   Bérénice 34-44 nous montre cette sinistre période de l'histoire sous une angle particulier. La majeure partie du roman se passe sur scène, en coulisses et la guerre à l'extérieur, n'est qu'une musique de fond qui prend peu à peu de l'importance. On y retrouve des comédiens célèbres comme Louis Jouvet qui sera la professeur de Bérénice, ou Robert Manuel, l'ami des débuts. Un milieu décrit avec précision par un Isabelle Stibbe qui sait de quoi elle parle puisqu'elle a travaillé pour la Maison. La Comédie Française nous y apparaît comme un microcosme, on y retrouve tout ce qui constitue la société mais en concentré. Les amitiés, les jalousies, les rivalités, le tout exacerbé par l'horreur de la guerre.

  Isabelle Stibbe nous livre un roman passionnant porté par une plume efficace, par moment poétique. Le seul petit bémol que je mettrais à ce livre passionnant tient dans la disproportion entre le traitement de la vie dans le théâtre,  et la vie extérieure, les décisions politiques, l'avancée du conflit. Mais malgré tout un excellent moment de lecture.

  "C'était vers cela qu'elle voulait tendre en tant que tragédienne, elle ne serait satisfaite que quand elle parviendrait, par l'amplitude de sa voix, par la variété de ses couleurs, à faire ressentir la difficulté d'être, le frôlement avec la folie et la mort, ce moment de basculement subtil où chacun pourrait passer sans crier gare de l'autre côté de la normalité. L'art ne doit pas être réaliste, songea-t-elle, il doit amplifier la vie."

  "Quand reviendra le jour, tout s'arrangera, murmura Alain Béron à l'oreille de Bérénice, nous avons tant lutté, tant souffert que tout sera merveilleux ensuite, tout deviendra possible. Il suffira de vouloir pour que nos désirs se réalisent, quand reviendra le jour, même revoir Nathan sera facile et nous jouerons enfin La Harpe de David. Après tant d'horreurs, l'art triomphera, l'humanité comprendra qu'il est le seul salut, que l'art est tout ce qui nous préserve de notre part d'ombre, c'est pour moi l'évidence..."





    

dimanche 22 mars 2015

Une valse pour rien



Une valse pour rien de Catherine Bessonard aux éditions de l'Aube




   Paris est en effervescence. En ce jour deux cortèges parcourent les rues de la capitale. L'un joyeux bigarré, tonitruant avec ses chars et sa musique, celui de la Gay Pride, l'autre silencieux, grave, qui défend le droit à mourir dans la dignité. C'est dans cette ambiance que le commissaire Bompard sort du cinéma avec Mathilde son ex. Bompard est oppressé, d'abord par ce moment passé avec celle qu'il n'arrive pas à oublier mais aussi parce qu'il a un mauvais pressentiment en ce qui concerne ces  manifestations. Il n'est donc pas surpris quand il reçoit l'appel de Grenelle et Machnel, ses fidèles subalternes. Un homme vient de s'écrouler dans le cortège de la Gay Pride, poignardé. La victime se bat, entre la vie et la mort. Une patte de chat ensanglantée est retrouvée accrochée à la marinière de la victime.


  L'équipe de Bompard est chargée de l'enquête qui s'oriente d'emblée vers un crime homophobe. Surtout que deux autres victimes sont rapidement à déplorer. Mais elles n'ont pas eu la même chance que la première. Une enquête délicate attend Bompard et ses acolytes tant notre société n'est pas très au clair avec ses sentiments envers l'homosexualité. L'homophobie a plusieurs visages : celle de la haine assumée, celle des ses bandes de skinheads qui cassent du pédé ouvertement, mais il y a aussi l'homophobie passive encore plus pernicieuse car plus difficile à débusquer, celle de Louvel par exemple, le commissaire divisionnaire qui parle de "ces gens là".


   Nous suivons l'enquête au rythme des fulgurances de Bompard, des ses associations d'idées, de ses coqs à l'âne,  de ses digressions venues de nulle part et qui finissent par s'articuler entre elles. Quel personnage attachant que ce Bompard, flic atypique, comme nous les aimons. Un personnage tout en nuances, un électron libre qui malgré son respect apparent pour la hiérarchie n'en fait qu'à sa tête. Ses entrevues avec le divisionnaire sont un régal. Un personnage en pleine crise, tiraillé entre son amour toujours présent pour Mathilde  et son attirance partagée pour Camille cette infirmière militante pour le droit à mourir dans la dignité.


   Une valse pour rien  est un roman passionnant, porté par la plume alerte de Catherine Bessonart. Un auteur que j'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir dans cet opus des enquêtes du commissaire Bompard. Je vais me précipiter sur les romans précédents et j'attends la suite des aventures de ce policier hors normes avec impatience.


  " Quelqu'un toussait dans son dos. Bompard se demanda s'il s'était absenté longtemps. Il se concentra , revint vers la victime ; après tout, il ne l'avait pas vraiment abandonnée, il avait juste tourné légèrement autour de la mort pour l'apprivoiser. Le chemin le plus fructueux n'avait jamais été pour lui le plus direct. Il était persuadé  que partant du point A, il était parfois enrichissant de se laisser distraire  du point B, de s'autoriser à musarder  vers le C ou le D. On en revenait toujours plus riche."

   "- Bon je crois que tu mens, mais c'est toi qui vois... C'est comme ça qu'on apprend la responsabilité : à coup de remords."

    " C'était la fin du tour de chant. On ralluma les lumières. Le chapeau circula de table en table ; c'est ainsi que le talent est rémunéré dans ces lieux ou nulle chaîne de télé ne s'aventure, dans ces lieux pleins de magie qui perdurent à l'abri du formatage. On ne sort jamais indemne d'un moment de pure émotion : les gens, de peur de passer à côté de cet espoir d'être meilleur en sortant qu'en entrant , s'attardèrent. Les tables s'accolèrent , chacun avait envie de se rapprocher de son voisin, de cet étranger dont il se sentait soudain si proche."



mercredi 18 mars 2015

Sombre dimanche




Sombre dimanche d'Alice Zeniter aux éditions Livre de Poche




   Les Mandy vivent depuis des générations dans une maison des faubourgs de Budapest. A l'origine l'arrière-arrière-grand-père d'Imre l'avait construite sur un vaste terrain. Aujourd'hui, plus de potager. La maison est cernée par les rails qui mènent à la gare Nyugati toute proche. Du terrain il ne reste plus qu'un petit jardin en forme de triangle servant de piste d'atterrissage aux détritus jetés du train par les voyageurs. C'est dans cette petite maison de bois que vivent trois générations de Mandy. Trois générations qui ont vécu les bouleversements qui ont touché la Hongrie au cours de ce XXème siècle.


    Imre, le narrateur nous raconte son histoire et celle de sa famille qui suit l'Histoire de son pays. Le grand-père est impotent, il traîne sa jambe derrière lui, a connu la guerre, tous les ans il fête l'anniversaire de la mort de sa femme en se saoulant à la palinka, le tord-boyaux local. Il a une haine farouche des russes et de tous ceux qui veulent asservir son pays. Pal le fils, contrairement aux aînés de la dynastie,  ne portent pas le prénom d'Imre, c'est un personnage qui enfant, a été couvé par sa mère, il est peu loquace, il semble attendre que les choses se passent. Sa femme Ildiko est plus vivante, elle est souriante, attend patiemment des signes d'amour de son mari, mais elle se considère heureuse de ne pas être battue. Agnès, la soeur d'Imre, étudiante brillante finira par quitter le cocon familial mais pour combien de temps? Imre, notre narrateur est un enfant craintif, solitaire, il passe son temps dans le jardin à guetter les trains. Il devient ami avec un garçon un peu plus âgé, Zsolt, une amitié un peu déséquilibré du fait du sentiment d'infériorité qu'Imre éprouve par rapport à  son camarade.


   L'histoire des personnages suit celle du pays. En 1989 la chute du mur de Berlin et l'écroulement de l'empire soviétique font souffler un vent nouveau sur la Hongrie, des entreprises occidentales s'implantent, le pays s'ouvre au tourisme. Imre et son ami rêvent d'Amérique, de s'enfuir, de s'évader de ce monde qui leur semble trop petit. Imre tombe amoureux d'une jeune allemande de l'ouest, il entrevoit la possibilité de fuir son quotidien avec elle, mais la belle ne jure que par la "vrai vie", celle que l'on vit dans les anciens pays de l'empire soviétique.


   Dans ce superbe roman, les personnages sont enfermés, emprisonnés. D'abord par l'histoire : dans ces pays de l'ancien empire soviétique les déplacements à l'étranger était réservés à l'intelligentsia. Ils sont murés aussi dans leurs racines dans leur histoire familiale, toute tentative  de départ semble vouée à l'échec, la seule fuite possible dans cette famille paraît être la fuite ultime, celle que l 'on fait à l'horizontale, les pieds devant. Un roman dans lequel l'horizon est plombé, où l'espace est réduit. Cette atmosphère d'enfermement est symbolisée par cette maison encerclée par les rails. Des rails synonymes de voyages mais qui semblent retrancher la famille Mandy du reste de la population, la couper du monde. Un roman marqué par la plume poétique de l'auteur, une poésie sombre avec quelques touches d'humour par-ci, par-là, bouffées d'oxygène qui viennent sauver le lecteur de l'étouffement. Ce roman est une très belle découverte. Une histoire passionnante que je j'ai lue pratiquement d'une traite. Je suivrai désormais son auteur de près.

   " Ildiko ne savait pas ce que le grand-père avait pu voir. La Seconde guerre mondiale avait été un chaos total durant lequel le pays avait servi de parc à thèmes aux Hongrois, aux Allemands et aux Russes. Chacun avait eu son temps de barbarie et chacun en avait usé. Il y avait eu beaucoup trop à voir selon l'impression d'Ildiko. Elle étai née à la fin du conflit, tout comme Pal, et elle avait compris très tôt  que ne pas avoir vécu la guerre constituait une frontière inamovible entre sa génération et celle de ses parents, et celle du grand-père. Ils n'habiteraient jamais le même monde, ils n'auraient jamais les  mêmes yeux. Alors pourquoi poser des questions? Qui voulait partir à la recherche de vérités que seule la palinka rendait supportable?"



    "- Tu comprends expliquait-elle à Imre lorsqu'ils étaient tous les deux allongés côte à côte, en Allemagne j'avais toujours peur que ma vie reste petite. Toute petite. Il y a des vies minuscules, on ne se rend pas compte. Ce n'est pas une question de temps, on pourrait vivre quatre-vings ans, ça ne changerait rien. Il y a des vies qui sont immenses, qui ont embrassé toutes les dimensions du monde. Et il y a des vies sèches, linéaires, comme des pailles à cocktail mâchonnées encore et encore. J'avais tellement peur de ça. Tu n'as pas peur de ça?"


    

mardi 17 mars 2015

L'archange du chaos



L'archange du chaos de Dominique Sylvain aux éditions Viviane Hamy



    Une jeune femme égorgée, la langue coupée est retrouvée sur le chantier d'un immeuble parisien. L'enquête est confiée à l'équipe du commandant Carat.  La scène de crime est vierge de tout indice, pas de témoin, si ce n'est un appel anonyme qui a signalé la présence du corps, pas de trace ADN. Les enquêteurs comprennent vite que l'assassin n'en n'est pas à son coup d'essai, et qu'il risque de recommencer à tout moment.


    C'est une équipe déstabilisée qui commence l'enquête. Le commandant a perdu son bras droit qu'il a lui-même fait suspendre pour qu'il soigne son addiction à l 'alcool. A la place, il récupère une jeune recrue, transfuge de la brigade financière, sans expérience du terrain, que la divisionnaire a amenée avec elle dans ses bagages. L'assassin semble être investi d'une mission divine, il se veut le bras d'un dieu vengeur, Auprès de  la  victime les enquêteurs retrouvent un passage de la Bible. Les mains de la victime on été jointes, comme en prière et la disposition du corps fait penser à celle d'un gisant.  Mais l'équipe dispose de peu d'éléments. Très vite une autre victime est retrouvée ainsi qu'un autre texte. Je n'en dirai pas plus sur l'histoire pour ne pas gâcher votre lecture.


    Si l'intrigue de ce roman ne m'a pas pleinement convaincu (trop de rebondissements tirés par les cheveux), j'ai été en revanche séduit par la complexité des personnages et de leurs rapports entre eux. L'enquête est menée par une équipe dans laquelle tous les membres ont leurs fêlures, leur talon d'Achille, leur part d'ombre qui se dévoilent au fur et à mesure de l'enquête et qui la pimentent. Le style de l'auteur m'a lui aussi conquis, donnant du rythme au texte par des phrases courtes et des dialogues ciselés. Malgré le bémol de l'intrigue, ce roman a été un agréable moment de lecture. Un roman qui se lit d'une traite et je lirai d'autres oeuvres de Dominique Sylvain.

  "- On a beaucoup perdu en abandonnant le polythéisme. les dieux de la Nature faisaient de très bons juges. Et puis prier un dieu pour chaque occasion de la vie quotidienne, chaque humble préoccupation - une bonne moisson, la naissance d'un héritier, la santé pour sa tribu - , était plus intelligent et plus utile que l'adulation d'un seul démiurge héritier de la Vérité. Car qui croit la détenir apprécie de l'imposer.
    - Le monothéisme ou l'invention de l'intolérance."

  "- L'époque s'emballe, patron. Les religieux de tous bords aussi. Les plus extrémistes refusent la contraception et font des mômes avec enthousiasme. En gros, idiots et intolérants se reproduisent plus vite que la moyenne. C'est pas une bonne nouvelle pour le reste de l'humanité."



lundi 16 mars 2015

Le dernier pape






Le dernier pape de Luis Miguel Rocha aux Editions de l'Aube





   2006 Sarah Monteiro, journaliste portugaise rentre à Londres où elle est journaliste après un séjour dans son Portugal natal. Elle ouvre son courrier accumulé pendant ses vacances et y découvre une liste de noms et un code. Sur cette liste figure celui de son père. Ce document lui a été envoyé par un homme au nom italien qui  lui dit vaguement quelque chose mais elle ne se souvient pas quoi. A peine l'enveloppe ouverte, elle se sent surveillée. Un homme s'introduit chez elle. Elle comprend que cette liste la met en danger. Elle ne doit sa survie qu'à l'intervention d'un homme qui liquide son agresseur et qui l'aide dans sa fuite. Elle appelle son père au téléphone qui lui dit de faire confiance à cette homme, Rafael. Première étape de leur fuite le Portugal pour demander des explications à ce père qui lui paraît de plus en plus inconnu.


  29 septembre 1978, le pape Jean-Paul premier est découvert mort dans son lit après trente-trois jours de pontificat. C'est la première fois qu'un pape rend l'âme sans témoin. Le corps du Saint Père est bizarrement embaumé aussitôt, excluant toute autopsie. La cause officielle de la mort est une crise cardiaque. Pourquoi le protocole si bien réglé organisant le cérémonial en cas de décès du pape a-t-il été à ce point accéléré?

  Sarah et Rafael sont en fuite, pourchassés par de dangereux individus qui semblent disposer de beaucoup de moyens pour les retrouver et les éliminer. Mais que contient cette liste?  Sarah comprend vite la puissance de leur adversaire  quand elle découvre dans la presse qu'elle est accusée de la mort de plusieurs personnes en contact avec des documents similaires. Des documents qui auraient une relation avec la mort de Jean-Paul premier.


   Le dernier pape nous plonge au coeur des intrigues politiques, des luttes de pouvoir à l'intérieur du Vatican mais aussi à l 'extérieur. Il nous montre un Vatican, loin de l'image de phare du catholicisme. Le Vatican est avant tout un état soumis aux mêmes luttes de pouvoir, soumis aux mêmes influences que n'importe quel autre. Plus peut-être par le caractère universel de sa mission. Un roman passionnant qui nous montre combien l'information à laquelle a accès le commun des  mortels peut être éloignée des faits. Seul bémol le style de l'auteur que j'ai trouvé un peu lourd et qui m'a occasionné quelques décrochages mais l'ensemble reste très attrayant. Ce roman est le premier volet d'une série intitulée Complots au Vatican dont j'ai hâte de lire la suite.

   "Les vies humaines ne sont que des jouets entre les mains du destin ou des puissants, et les plus dangereux ne sont pas ceux qui apparaissent sous le feu des projecteurs. Les détenteurs du vrai pouvoir restent dans l'ombre, n'hésitant jamais à sacrifier des vies comme ils déplaceraient de simples pions en fonction de leurs intérêts, de possibles menaces - y compris celles de leurs prétendus alliés qui d'un seul claquement de doigts peuvent devenir des ennemis à abattre."

samedi 14 mars 2015

Souvenirs de lecture 4 : Harold Cobert




Souvenirs de lecture 4 : Harold Cobert



   Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient où on était quant on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui, c'est à Harold Cobert que j'ai voulu poser ces questions. Je le remercie chaleureusement pour son temps si précieux, sa gentillesse, son humour et sa disponibilité.


LLH : Quel livre lu dans ton adolescence t'a le plus marqué et pourquoi ?


HC : Les Carnets du sous-sol de Dostoïevski. J'ai lu ce roman à dix-sept ans, et ça a été un choc esthétique, littéraire, culturel. Il m'a marqué par son étrangeté, son atmosphère, sa drôlerie - si, si, derrière son côté sinistre et désespéré, c'est un livre très drôle. Il m'a surtout marqué, parce que c'est par lui que je suis entré dans l'oeuvre de Dostoïevski, lue intégralement, et au-delà dans la littérature russe, l'âme slave, toutes deux si particulières, si extrêmes, si libres, si folles. Je me demande toujours comment on peut vivre sans lire ou avoir lu Dostoïevski. Un mystère !



LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur ton désir d'écrire ?


HC : Aucune ! À l'époque, je ne lisais pas , ou peu, voire très peu, ce qui revient à rien. Je volais les fiches de lecture à mes copains. Vivre par procuration ne m'intéressait pas. Pourquoi lire alors que je pouvais aller à des soirées, draguer les filles, surfer, fumer des pétards avec mes potes ? L'envie d'écrire ne m'est venue que l'été de mes vingt ans, après un accident de surf à la suite duquel j'ai failli rester tétraplégique. Un ami m'a offert une anthologie d'échecs, auxquels je jouais beaucoup, et un fait divers m'a fasciné, j'en ai fait une nouvelle qui a eu pas mal de prix et, à partir de là, le virus de l'écriture ne m'a plus jamais quitté. Si Les Carnets du sous-sol et, au-delà, l'oeuvre de Dostoïevski, m'ont influencé, c'est de manière sous-terraine, indirecte, mais constante. Prenez Lignes brisées, par exemple : si vous avez lu Les Nuits blanches de Dostoïevski, roman publié d'ailleurs en Folio avec Les Carnets du sous-sol ( les deux textes se suivent dans cette édition), vous retrouverez peut-être une thématique et une situation similaires ainsi que, je l'espère, une sororité d'atmosphère teintée d'une certaine nostalgie et d'une certaine mélancolie.


LLH : Quelles sont tes dernières lectures coup de coeur ?


HC :   Les Corps inutiles de Delphine Bertholon, pari et thématique littéraires risqués, portés par une écriture au cordeau.

           Manderley for ever de Tatiana de Rosnay, une biographie qui se lit comme un roman ou, mieux, comme une biographie de Stefan Zweig.



Biographie

 Quand je lui ai demandé une courte biographie, Harold Cobert a vraiment fait très court. Il m'a dit : "Pour la bio : surfeur et écrivain, ça suffit? " en rajoutant "J'ai toujours l'impression que je suis mort dans les bios!!!" J'ai donc respecté sa volonté tout en rajoutant les titres de ses romans.

Romans : Le reniement de Patrick Treboc,  JC Lattès 2007
                 Un hiver avec Baudelaire, Héloïse d'Ormesson 2009
                 L'entrevue de Saint-Cloud, Héloïse d'Ormesson 2010
                 Dieu surfe au pays basque, Héloïse d'Ormesson 2012
                 Au nom du père, du fils et du rock'n'roll, Héloïse d'Ormesson 2013
                 Jim, Plon 2014
                 Lignes brisées, Héloïse d'Ormesson 2015

 Essai :    Petit éloge du charme, François Bourin éditeur, 2012


   Encore un immense merci à Harold Cobert pour sa gentillesse et sa disponibilité. Tous les titres d'oeuvres ayant fait l'objet d'une chronique sur ce blog sont colorisés et disposent d'un lien intégré vous permettant  d'accéder à la chronique correspondante d'un simple clic.










Lignes brisées



Lignes brisées de Harold Cobert aux éditions Heloïse d'Ormesson


     Gabriel est écrivain. Son roman Lignes brisées vient de recevoir un prix. Il se rend dans une librairie à Bruxelles pour en assurer la promotion. Dans le train, Gabriel est tendu, il ne cesse de regarder son téléphone portable, guettant un message. Ce n'est pas cette rencontre autour de son livre qui l'inquiète. Va-t-elle venir? Va-t-elle encore trouver un prétexte pour se décommander?

     Salomé est parlementaire européenne, ce matin elle est fébrile. Elle ne cesse de se regarder dans le miroir, hésite sur le choix d'une tenue dans sa garde-robe. Ce n'est pas la réunion parlementaire qui la tracasse, ce sont  leurs retrouvailles.

    Gabriel et Salomé se sont rencontrés à l'adolescence. Rencontre improbable entre une jeune fille dont la danse est au centre de la vie et un jeune "branleur" vêtu d'un perfecto se déplaçant à moto la tête protégée par un casque argent. Pourtant ces deux-là vont se plaire, ils vont vivre une relation de courte durée mais qui les marquera tous deux.

 
    "Nous ne sommes que des adolescents, pourtant, le drame qui se joue sous des apparences de vaudeville va me pourrir la vie jusqu'à aujourd'hui."

   J'ai été cueilli à froid par ce roman. Il touche un thème sensible que nous avons tous vécu : les amours adolescentes, notre premier amour. Souvent de courte durée, ces premiers émois n'en sont pas  moins marquants. Ils se heurtent aux aléas de la vie, éloignement, fuite du temps, manque de maturité, mais ils continuent de nous hanter tels des fantômes tout au long de notre vie sentimentale. Sans cesse dans les moments de doute, nous y revenons. Cette petite question "Et si? " revient de manière lancinante. "Et si j'avais été plus audacieux?" "Et si j'avais été plus patient?" "Et si j'avais été moins égoïste.?" Bien que s'étant séparés il y a vingt ans, les deux protagonistes n'ont jamais perdu contact. Gabriel parviendra-t-il, cette fois, à dire ce qu'il ressent vraiment pour Salomé.

    La construction du roman alterne des extraits du roman de Gabriel relatant leur histoire à l'adolescence avec les états d'âmes de l'auteur à l'approche de la rencontre et ceux de Salomé.  Des chapitres bien distincts intitulés "Pages cornées" renforcent cette impression d'obsession. Les succès comme les échecs d'un premier amour sont comme les pages cornées marquant les passages d'un roman qui nous ont le plus touchés. Harold Cobert nous parle avec justesse des répercussions de nos premières amours, des allers retours que nous faisons sans cesse entre notre histoire actuelle, et celle que nous avons vécue adolescent. Un roman fort, émouvant.

   "Il y a deux sortes  d'amours manquées : celles qui n'ont jamais commencé et dont on ne connaîtra jamais les regrets, et les pires, celles qui n'ont commencé qu'après avoir fini - et qui n'en finissent pas de mourir sans que nous ayons pu les vivre jusqu'au bout."  Jean-Edern Hallier  Les Puissances du Mal cité en ouverture du roman.

Ce roman a été lu dans le cadre du club des explorateurs de Lecteurs.com. J'ai eu la chance de le lire en avant-première grâce au parrainage de Leila, merci à elle. Pour accéder à sa chronique cliquez ici



    

lundi 9 mars 2015

Aide moi si tu peux



Aide moi si tu peux de Jérôme Attal aux éditions Robert Laffont


   Stéphane Caglia est policier. De retour d'une mission en infiltration aux long cours au sein du Souterrain stellaire, fer de lance du crime organisé maintenant dissout, il va retrouver un quotidien plus banal, s'attaquer à des affaires plus classiques. A peine arrivé à Paris, on lui confie l'enquête sur le meurtre d'un homme étranglé avec une corde de guitare. L'affaire se complique sérieusement quand   un policier voulant se faire un encas découvre la tête d'une jeune fille dans le congélateur de la victime.


   Cette tête est celle de Tamara, dix sept ans, portée disparue. Traquée par les sbires du Souterrain stellaire, Stéphane Caglia doit se débattre pour résoudre son enquête et préserver sa vie. Il est aidé dans sa mission par une accorte policière anglaise. Tamara postant sur internet des vidéos dans lesquelles elle chante des reprises des Beatles, l'enquête s'oriente naturellement de ce côté là.


   Quel personnage intéressant que ce Stéphane Caglia, homme à la répartie cinglante, il se considère investi d'une mission. Il rêve de pouvoir verbaliser tous les actes d'incivilité. Ses méthodes d'interrogatoire peuvent surprendre mais se révèlent très efficaces. Quand le stress le mine, qu'il est dans le doute, notre policier s'évade dans les années 80, dans sa musique, dans le souvenirs d'objets cultes de son enfance, époque bénie des dieux où il se sentait en sécurité, heureux. Sa sonnerie de téléphone portable est Boule de flipper de Corinne Charby, c'est dire.

  "Au départ, quand j'ai su que j'entrais dans la profession, je me voyais déjà intervenir contre tout ce qui me ruine le moral : l'abruti d'automobiliste qui sur une autoroute se croit malin en vous doublant par la droite, le cycliste qui jaillit sur un trottoir en contresens ou ne respecte pas les feux tricolores, le piéton qui crache par terre comme si la voie publique méritait qu'on la provoque en duel ou la bande de bipèdes de sexe masculin qui ne peut pas s'empêcher de faire une réflexion graveleuse au passage d'une jolie femme. Je me voyais déjà foutre des claques légales à toute cette racaille ordinaire à coups de procès verbaux permettant par la même occasion de redresser les finances du pays."

Quand Jérôme Attal s'attaque au polar, cela donne un roman enlevé, plein d'humour, un roman léger mais truffé de réflexions intelligentes. Amateurs de polars sanglants et haletants vous n'y trouverez peut-être pas votre compte, pas de courses poursuites, pas de violence gratuite. C'est un polar marqué par la patte de Jérôme Attal, un polar  décalé, drôle, touchant, émouvant. Un polar à l'image de son auteur. Un polar teinté de nostalgie qui m'a touché par ses incursions dans les années 80, me rappelant tant de souvenirs d'enfance mais un roman également profondément ancré dans notre époque marquée par le paraître, le cynisme, la critique mordante et ravageuse amplifiée par internet et les réseaux sociaux. Le personnage de Stéphane Caglia est si attachant que je me prends à espérer qu'il devienne un personnage récurrent. Jérôme Attal étant auteur de chansons et chanteur lui-même, la musique est omniprésente dans le livre. Un polar touchant, à lire en écoutant une bonne compilation  des années 80.

   " Si l'on assassine le rire assassin, il reste le rire. C'est la bonne réponse, c'est ça?
     - Exact. Il reste le rire. Alors peut-être qu'on peut juste rire un grand coup, à la fois de la vidéo que vous avez postée comme des commentaires stupides qui l'ont suivie, rire de la vanité de tout, rire de l'apparence comme du supplément d'âme, de ceux qui se montrent comme de ceux qui se dissimulent, de ceux qui produisent et de ceux qui commentent, rire de notre court passage sur terre et des haines que l'on se fait comme s'il n'y avait pas suffisamment de soucis en magasin et de flammes imprévues à travers lesquelles passer sans se brûler..."


   " Au bout du compte, rares sont les bonheurs sans larmes. Alors tout ce qu'il reste à faire pour éviter de sombrer dans la permanence de nos souvenirs, ou de se laisser engloutir par le présent inconstant, c'est encore et  toujours : chérir."

mercredi 4 mars 2015

Le bain et la douche froide



Le bain et la douche froide de Mélanie Richoz aux éditions Slatkine


  Autant le dire tout de suite, je n'ai jamais été très attiré par les nouvelles.  Étant tombé sous le charme de la plume de Mélanie Richoz avec ses romans Mue et Tourterelle, je me suis décidé à franchir le pas. Je pensais ne pas avoir le temps de me plonger dans une histoire, de m'attacher à des personnages, avec ces textes courts. Que je me trompais!!! Avec ces 24 nouvelles, autant de portraits, Mélanie Richoz m'a remis les idées en place et de quelle façon!

   L'auteur nous fait découvrir une galerie de personnages, de la petite fille, à l'écrivain, en passant par la thérapeute, la femme amoureuse. Des personnages essentiellement féminins qui sont plongés dans le bain de leurs vies. Des vies qui passent tant bien que mal et qui vont se trouver bouleversées par un événement, une prise de conscience, douloureuse, souvent cruelle, violente. Les thèmes tels que l'inceste, l'homosexualité, le manque d'amour...


  A l'image de Cindy dans sa rédaction dans la nouvelle d'ouverture Mademoiselle Jupenlair, Mélanie Richoz écrit pour comprendre la vie, elle la dissèque au scalpel, elle va à l'essentiel. C'est juste, c'est précis, ça bouleverse, ça fait mal.

   "J'en avais déduit qu'on pouvait tout écrire, que rien n'était ni juste, ni faux ; qu'écrire permettait de dire  les choses sans vraiment les dire, de les déguiser. Pour s'en distancer. Pour comprendre.
     Pour passer outre."

  Mélanie Richoz nous décrit la vie. Ce bain dans lequel nous sommes tous plongés. Ce bain, eau stagnante dans laquelle nos compromissions, nos petites défaites du quotidien, nos douleurs, nos peines mais aussi nos joies, nos espoirs, se heurtent, entrent en collision. Dans ce bouillon de culture, les réactions chimiques s'enchaînent, l'eau stagnante devient effervescente, elle bouillonne jusqu'à se transformer en jet : la douche froide de la prise de conscience, de la réaction violente à tout ce qui s'est accumulé dans la baignoire de nos vies. De sa plume directe, concise, précise, chirurgicale, Mélanie Richoz fouille dans nos entrailles pour aller  frapper directement au coeur. Une écriture où l'économie de mots rend ceux-ci encore plus efficaces, plus puissants. Finalement que c'est bon l'économie.

   " J'étais amoureuse pourtant. J'ignore pourquoi, et j'ignore ce qui m'avait plu chez toi, mais j'étais amoureuse. Pour la première fois de ma vie, j'avais envie d'une main dans la mienne.
      Je crois même avoir  été heureuse. De temps en temps. Pas au début, parce que c'était difficile. Pas pendant, parce que nous nous bagarrions. Pas à la fin, parce que c'était douloureux.  Mais entre. Entre le début, le pendant et la fin, dans les éphémères réconciliations physiques des amours débutantes et des passions chaotiques. C'était tellement bon de se perdre, et de se retrouver
      en se perdant en l'autre."