vendredi 30 janvier 2015

Souvenirs de lecture 1 Delphine Bertholon




Souvenirs de lecture 1 : Delphine Bertholon


    Dans cette nouvelle rubrique je vais demander à des auteurs de nous parler de  leurs souvenirs de lecture le plus marquant. Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchées, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d'où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Delphine Bertholon a gentiment accepté d'ouvrir le bal et d'être la marraine de cette rubrique. Je l'en remercie chaleureusement.



LLH : Quel livre lu dans ton adolescence t'a le plus marqué et pourquoi?

DB : Il s'agit plutôt d'un livre de pré-adolescence - de mon premier roman non estampillé "jeunesse". Je venais d'entrer en sixième, je découvrais le CDI et, au détour d'un rayonnage, dénichai E=mc2 mon Amour (Claude Klotz, publiant sous le nom de Patrick Cauvin, 1977). J'avais été, j'imagine attirée par la couverture du livre de poche, qui figurait le baiser de deux adolescents ; puis définitivement ferrée par la quatrième : deux enfants de onze ans (comme moi, donc) - atypiques, surdoués, incompris des adultes - allaient vivre, me disait-on, une grande histoire d'amour...

        Embarquée dès les premières lignes.

        J'étais une fillette plutôt sage, bonne élève, disciplinée (bien qu'un peu bavarde tout de même, dixit mes bulletins scolaires). Sans doute cette folle passion romanesque - la fugue jusqu'à Venise de ces amants rebelles, inconséquents et sublimes  - m'avait-elle fait rêver de liberté. Au contact de Daniel et Lauren, je m'encanaillais sans prendre de risques. Gamine, je l'ai lu un nombre incalculable de fois. Peu après sa découverte, mes parents m'ont emmenée au Salon du Livre de Saint-Etienne où Cauvin/Klotz était en dédicace. Ils m'ont bien sûr offert ce roman dont je parlais sans cesse. L'auteur me l'a signé, j'en tremblais ; je n'ai, je crois, rien osé lui dire. L'exemplaire jauni est toujours en bonne place dans ma bibliothèque, matérialisant l'un de mes plus beaux souvenirs d'enfance (je viens de voir que ma mère, adorable, avait noté en page de garde la date de cette fameuse dédicace. C'était le 23 octobre 1988).


LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur ton désir d'écrire?

DB : Je rédigeais déjà des petites nouvelles, poèmes et autres contes improbables. Mais j'ai lu E=mc2, mon Amour et pour la première fois, le désir d'écrire est devenu conscient - pour ne pas dire viscéral. Moi aussi, je voulais transmettre des émotions, être libre dans l'imaginaire, comme Patrick Cauvin, comme les héros qu'il mettait en scène. Bien sûr, à ce moment là, je ne me suis pas dit "Quand je serai grande, je serai écrivain" mais l'envie s'est ancrée, d'une manière que je n'imaginais pas si définitive.. J'ai découvert une langue vivante, inventive, truculente, souvent très drôle - loin des classiques lus pour l'école ou des textes simples et assez formatés comme l'étaient souvent à l'époque les romans jeunesse. Découvert aussi une structure qui, je m'en rends compte aujourd'hui, a sans doute influencé mon parcours d'auteur : la forme polyphonique et le travail de "voix" foncièrement différentes, d'un point de vue stylistique, selon les personnages. Près de vingt ans plus tard, j'ai relu le roman lorsque j'écrivais Twist, car Madison, la petite héroïne, le cite comme l'un de ses livres favoris (les chiens ne font pas des chats). Pour la quatrième de couverture à l'époque, François Nourissier notait : "(...) toutes les qualités de fraîcheur, de légèreté, d'invention qu'il faut pour faire l'enfant sans faire la bête." C'était justement le problème que je rencontrais avec le personnage de Madison : créer une langue d'enfant qui soit à la fois crédible et littéraire. Chose que, bien sûr (mais je le lus beaucoup plus tard), avait brillamment réussi Salinger avec L'attrape-coeurs...

       Cerise sur le gâteau, quand Twist a été publié, j'ai appris que E=mc2, mon Amour avait à l'origine été édité par... Jean-Claude Lattès. Et chaque fois que je vais, en tant qu'écrivain, au salon du livre de Saint-Etienne, j'ai une grande bouffée de nostalgie. Donc ce roman fait vraiment partie, à n'en point douter, de mon histoire. Je suis triste que son auteur nous ait quittés avant que j'ai osé l'embrasser.


LLH : Quelles sont tes dernières lectures coups de coeur?

DB : L'écrivain national, Serge Joncour (rentrée de septembre 2014, France Flammarion) Au delà du sujet qui m'a évidemment interpellée (un écrivain fragile et peu sûr de lui se retrouve prisonnier d'une résidence d'auteur  dans un bled paumé), le roman a un côté "polar bucolique" qui force à tourner les pages. Pour finalement, livrer une histoire pleine de drôlerie, mais d'une très grande humanité. Je l'ai lu en vingt-quatre heures et j'ai failli pleurer à la fin. Pour les deux points, ça m'arrive rarement. J'ai donc été ravie, il y a quelques jours, de voir ce roman merveilleux obtenir le prix des Deux Magots.

       L'ours est un écrivain comme les autres, William Kotzwinkle (rentrée de septembre 2014, USA, Cambourakis)  Le pitch est improbable : en bref, un écrivain oublie le texte de son roman dans une forêt ; le roman est ramassé par un ours qui, par un concours de circonstances, se retrouve édité par une grande maison new-yorkaise, avant de devenir une superstar - le "nouvel Hemingway", carrément (le côté sauvage, quoi). En forme de parabole, une fable extrêmement drôle et très absurde sur les affres de la création et les pièges de la célébrité, pleine de quiproquos et de dialogues de sourds à hurler de rire. Sérieusement réjouissant... L'auteur étant un fan de Richard Brautigan, en même temps, il ne pouvait pas être foncièrement mauvais! En plus, le livre - l'objet livre - est vraiment beau. A l'ère du numérique, c'est cool aussi.

       Esprit d'hiver de Laura Kasischke (Christian Bourgeois à l'origine, au Livre de poche depuis peu , USA)  J'ai découvert Kasischke assez récemment, à force que les libraires m'en parlent, m'indiquant une parenté entre nos univers. Du coup, j'ai commencé... et depuis je lis tout (et digère tant bien que mal l'incroyable compliment!) Mais de l'auteur, ce roman-là m'a particulièrement emballée. Huis-clos paranoïaque, hypersensible et brillant, il faut l'avaler d'une traite, sans reprendre son souffle ; c'est comme ça qu'il fonctionne - à mon avis - le mieux. En apnée.

En bonus (rentrée de janvier 2015) : Entre toutes les femmes, Erwan Larher, Plon
                                                          Pardonnable, impardonnable, Valérie Tong-Cuong, Lattès




 Biographie : Delphine Bertholon (1976) naît et grandit à Lyon, à deux pas de la maison des Frères Lumière. Dès qu'elle sait lire, elle engloutit les 49 volumes de Fantômette, addiction qui rend les courses au Monoprix on ne peut plus excitantes. Dès qu'elle sait écrire, elle entreprend la rédaction de nouvelles, métissage improbable entre Star Wars et La Petite Maison dans la Prairie.
      Au collège, elle hérite d'une machine à écrire : l'affaire devient sérieuse et son père, moqueur, lui promet un collier en diamants si elle passe un jour sur le plateau d'Apostrophe.
       A dix-huit ans, elle entre en hypokhâgne, découvre Henri Michaux, se prend d'amour pour la littérature américaine avec Bret Easton Ellis, tombe dans Twin Peaks, la série de David Lynch. Elle pousse l'effort jusqu'à la khâgne puis trop dilettante pour intégrer Normale, termine ses licence/maîtrise à Lyon III . Abandonnant finalement l'idée d'enseigner, elle monte à Paris rejoindre des amis, partis tenter leur chance comme réalisateurs. A leurs côtés, elle devient scénariste, tout en poursuivant son travail littéraire. Après moult petits boulots alimentaires et nombre de textes refusés, elle intègre finalement en 2007 la maison Lattès avec Cabine Commune, son premier roman. Ont suivi  Twist, L'effet Larsen, Grâce, Le soleil à mes pieds, et en février 2015, Les corps inutiles.



Encore un immense merci à Delphine Bertholon pour sa gentillesse et disponibilité, Tous les romans de Delphine Bertholon ayant fait l'objet d'une chronique sur le blog sont colorisés et disposent d'un lien intégré permettant en cliquant dessus l'accès à la chronique correspondante.


8 commentaires:

  1. De quoi me donner envie de relire "e=mc² mon amour" !

    Très chouette idée de rendez-vous, Denis. Moi qui adore me pencher au-dessus de l'épaule des auteurs que j'apprécie et admire, je sens que je vais adorer cette nouvelle rubrique :)

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    1. Merci pour ce retour, cette rubrique va se pérenniser! Souvenirs de lecture N°2 très bientôt

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  2. tiens tiens, comme par hasard l'écrivain national :) Super rubrique Hibou, tu peux me compter parmi les suiveurs assidus!! bravo!

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  3. Une très belle idée que ce genre d'article ! Je vais suivre ça avec beaucoup d'attention ! :)

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  4. Oui vraiment super cette nouvelle rubrique, très bonne idée Denis!
    Julie

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