mercredi 21 janvier 2015

Les corps inutiles



Les corps inutiles de Delphine Bertholon aux éditions JC Lattès




Quinze ans

   Clémence, jeune fille couvée par ses parents a pour une fois l'occasion de sortir. Ella a l'autorisation d'aller fêter le début des grandes vacances chez une copine.  Sur le chemin, à deux pas de chez elle, elle est victime d'une tentative de viol qu'elle réussit a déjouer par son sang-froid. Elle se rend malgré tout à la fête retrouver ses amis mais elle est en état de choc. Pour elle c'est la mort de l'enfance, le début de la peur, la mise de côté du corps, ce corps qui suite à l'agression va perdre petit à petit toute sa sensibilité.

   "Clémence voyait les mains de Virgile s'agiter sous l'étoffe, mais les sentait à peine. Les caresses étaient une brise, un léger frôlement. Sa peau semblait anesthésiée, retournée de l'intérieur comme un gant de cuir doublé de velours, de satin, un tissu fluide et lourd sur lequel tout glisse."

   Clémence sait que si elle veut continuer à vivre, à avoir un minimum de liberté elle ne peut parler de l'agression à ses parents alors elle va se murer dans le silence, faire comme si tout allait bien. Parler pour elle :

    "Ce serait à tout jamais fillette, protégée en serre, telle une fleur fragile en voie d'extinction. A tout jamais victime, à tout jamais coupable, à tout jamais salie. Qu'elle avoue le malheur (qu'elle essaie donc!) et elle serait punie pour un crime qui n'était pas le sien."

  Clémence va devoir vivre avec son traumatisme,  vivre avec ce corps qui ne sent plus rien, prendre des mesures pour avancer, pour se protéger à sa manière.


Trente ans

  Clémence travaille à la Clinique. La Clinique contrairement à ce qu'indique ce nom, n'est pas un établissement médical. C'est une usine particulière qui fabrique des poupées à tailles humaines, des poupées censées satisfaire les hommes seuls, les aider à mieux vivre leur solitude. Clémence, maquilleuse professionnelle, leur donne leur aspect final. D'une certaine façon elle se sent proche de ces poupées qu'elle appelle les filles.

   "Mais en réalité je ne pouvais me mettre qu'à la place des filles. Néanmoins, elles différaient de moi : elles ne sentaient rien, certes, mais n'espéraient rien non plus, aucun miracle, aucun 29. Ce qui nous différenciait plus que tout autre chose était l'espoir."

  Clémence à trente ans est toujours hantée par l'agression, par son traumatisme. Son corps ne ressent toujours rien. Elle vit seule. Tous les 29 du mois, date anniversaire de son agression, elle revêt sa tenue de combat et part en chasse pour séduire un homme, trouver l'homme qui lui fera ressentir quelque chose, l'homme qui lui rendra son corps.


  Les corps inutiles est un roman passionnant, poignant, émouvant, un roman qui secoue, un roman sur l'agression, sur le traumatisme, sur le rapport au corps. Le roman d'une mort physique, celui d'une renaissance progressive,  d'une lutte permanente contre les fantômes du passé. Un roman porté par un style vif, énergique et poétique à la fois. Un livre qu'on ne peut plus lâcher une fois commencé et qu'on a du mal à refermer une fois la fin arrivée. Je suis fan de l'écriture de Delphine Bertholon.


   "Son esprit battit en retraite, repartit en voyage, hurla entre les cactus dressés comme des sexes dans le grand désert rouge, survol les falaise au-dessus desquelles l'aigle majestueux, tel un cerf-volant de plume, maintenant tournoyait.
    Que vois tu de là-haut?
    Le monde est-il plus beau ou plus terrible encore?"

Date de parution : 04/02/2015



2 commentaires:

  1. je pense que je vais succomber à ton billet et me laisser tenter par ce livre.

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  2. un livre que je viens de terminer, coup de coeur partagé!

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