vendredi 16 janvier 2015

La confusion des peines



La confusion des peines de Laurence Tardieu aux éditions Le livre de poche





     L'année 2000 est une année noire dans la vie de la narratrice. Cette année voit la mort de sa mère et l'incarcération de son père, dirigeant de la CGE pour corruption. Une année sur laquelle la chape de plomb du silence pèse dans la famille. Il ne faut surtout pas en parler. Un silence que la narratrice veut briser, et pour elle, écrivain la seule façon de briser le silence puisque personne ne parle, c'est de faire un livre de cette vie  marquée par le silence, le non dit . Et pour cela, pour la première fois, elle va désobéir à l'interdit paternel.


   "Tu ne veux pas que j'écrive ce livre. Tu me l'as dit. Tu me l'as demandé. Tu y avais pensé toute la soirée, toute la nuit, tu ne voulais pas. Ou, plus précisément, tu ne voulais pas que je l'écrive maintenant. Ce livre, Laurence, tu l'écriras quand je serai mort. Voilà ce que tu m'as dit."


   Avant la chute, Laurence voyait son père avec ses yeux de petite fille, elle l'idéalisait, ce père si intelligent, si fort, une force toute en douceur, toute en sourire, mais une force indéniable. Mais déjà dans ses moments heureux de l'enfance, le silence régnait, il ne fallait surtout pas se parler d'amour, surtout pas s'exhiber. C'est ce silence qui décrit le mieux les relations dans cette famille.


   "Comme toujours tu ne disais rien. Tu caches. Tu n'exprimes pas. Toujours le sourire, la douceur, l'enveloppement. Pas de problème, il n'y a pas de problème, jamais. Moi aussi avec toi je cache. Je tais. Je ne dis pas. Je formule des phrases , je prononce des paroles, mais pas celles que je voudrais te dire, celles que je porte en moi, qui sont ce que je vis, ce que j'éprouve, qui me définissent. Avec toi je contourne. Je fais semblant. Je passe à côté de moi."


   La condamnation du père va intervenir comme un séisme, une déflagration, le monde de Laurence, tout ce en quoi elle croyait va s'écrouler. Le père va subir et faire subir à sa famille une double peine, celle de son incarcération avec tout ce que cela comporte comme douleur, et celle du silence qui va l'englober, l'amplifiant, la doublant. Elle ne comprend pas, elle ne comprend plus. Par ce livre, en brisant le silence, c'est de son père tant aimé qu'elle veut se rapprocher. C'est de cet être imparfait qu'elle veut se rapprocher. Et le seul moyen pour elle de le faire c'est l'écriture. C'est par l'écriture de ce livre qu'elle va comprendre ce père, le faire tomber de son piédestal pour l'aimer encore plus.



   Ce superbe livre, est une magnifique lettre d'amour d'une fille son père. Un amour adulte, un amour débarrassé de toutes les idéalisations de l'enfance. Par ce livre la petite fille devient une femme, en cassant cette image du père parfait. Un texte porté par le style de Laurence Tardieu. Une écriture vivante, vibrante. L'écriture  du coeur, une écriture qui bat, qui palpite qui saigne. Encore une fois vous m'avez bouleversé Laurence.


   "Mais moi je n'en veux pas des vraies histoires, elles ne m'intéressent pas les vraies histoires, écrire ça n'est pas raconter des histoires, c'est tenter d'atteindre la lisière de la vie, cette matière-là mouvante, violente, imprévisible, or la vie ce n'est pas une histoire, la vie ça ne se déroule pas, ça ne passe pas, ça se tord, ça hoquette, ça n'a ni début, ni milieu, ni fin, pas de personnages, ce sont des corps qui avancent, qui tombent, qui aiment, qui ne savent pas, on avance tous en titubant, et personne n'en sort indemne, on finit tous par mourir."


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