mardi 29 avril 2014

Mue




Mue de Mélanie Richoz aux éditions Slatkine





 Jean Wilson est éditeur. C'est un homme froid, distant, de ceux qui ne s'encombrent pas des règles qui régissent le comportement en société. Un homme à femmes qui ne recherche que des aventures d'une nuit. Un personnage assez abject qui ne s'embarrasse pas de sentiments. Il ne recherche que son plaisir, et jette ensuite celle qui le lui a procuré.

   "Après un plan baise, rien ne m'importe plus que de me casser. Avant la métamorphose de la femme en petite fille docile qui se blottit et impose à vos bras de l'enlacer"


    Lucie Skrivan, elle, travaille comme réceptionniste, souvent le soir ou la nuit. Elle passe son temps à lire. Elle tombe sans cesse amoureuse. Elle veut "faire l'amour de manière universelle". Elle ne vit que pour la rencontre.

   "J'ai besoin de rencontrer ;
    chaque rencontre est un nouveau sillon dans mon histoire qui donne du sens à l'instant et qui fait que je ne suis plus tout à fait pareille après."


   Jean Wilson qui aime l'impersonnalité de la chambre d'hôtel pour ces relations d'un soir, va faire la rencontre de Lucie sur son lieu de travail, l'hôtel de Cigogne. Il va aussitôt être subjugué par cette jeune lectrice. Mais qu'ont ces deux personnages en commun.


    L"un de leurs points communs est le goût des mots, des histoires. Pour Jean les mots sont son métier, il est éditeur mais garde un souvenir ému de son apprentissage de la lecture. La lecture assidue de la jeune réceptionniste rappelle à Jean ce temps béni où il lisait pour le plaisir;

  "Il y avait dans son application à lire l'urgence de vivre. De la dévotion. Une implication entière, sans concession, qui me ramenait à l'époque où je lisais pour le plaisir."

   Pour Lucie, les mots, elle aimerait en faire son métier. Elle écrit. Elle écrit pour museler son angoisse, cette "Immortelle" comme elle l'appelle.

  "L'immortelle me fait écrire.
    Elle est le levain de mon écriture. Une pâte de farine fermentée avec de grosses bulles d'absence, qui n'aspire qu'à être malaxée, tapée et cuite. Comme du bon pain. Si l'Immortelle nourrit mon écriture, c'est aussi l'écriture qui me permet de la supporter. De survivre."

    Ce superbe roman qui nous conte la mue des deux personnages par le frottement de leur peaux, le fait de rentrer dans la peau de l'autre, mais aussi par leur rapport aux mots, écrits ou prononcés ou même par leur absence opère aussi une mue sur le lecteur tant ce texte nous bouscule par ces phrases courtes, précises, poétiques chargées d'émotions. Le mot Mue n'est il pas l'anagramme d'ému. Emu je le suis en refermant ce livre, un de ces livres qu'on a justement du mal à refermer. Mélanie, votre plume, et quelle plume,  m'a marquée pour longtemps!


lundi 28 avril 2014

Le lac




Le lac de Yasunari Kawabata aux éditions Biblio



  Gimpei Momoï est un homme vieillissant et perturbé. Il est dégoûté par l'aspect de ses pieds, qu'il juge simiesques. Gimpei est très attiré par les jeunes femmes, voire même le adolescentes. Ancien professeur, il a été renvoyé car il avait eu un comportement inacceptable avec l'une de ses élèves.


"Pour Gimpei, le moment parfait incarné dans l'adolescente ne pouvait être qu'éphémère. Et quel secret, quand les autres jeunes filles ont si tôt fait d'ensevelir sous la poussière des manuels scolaires, le subtil parfum du bouton à peine éclos, conférait à celle-là sa beauté, son inégalable perfection ? Quelle lumière, propre à elle seule, lui donnait se rayonnement, cette transparence ?"


  Dans ce roman, l'auteur nous fait voyager à travers l'histoire de son personnage principal. Un voyage à travers le temps selon un ordre aléatoire renforçant cette perception que l'on a de la perturbation mentale de Gimpei. Ce personnage qui ne peut résister à l'attirance que provoquent en lui les très jeunes femmes. Cette perversion est représentée métaphoriquement par la vision que Gimpei a de ses pieds. Des pieds difformes, simiesques qui se mettent à suivre quasiment de leur volonté propre les jolies jeunes filles.


   Le lac est un roman perturbant, autant par les thèmes abordés que par sa forme. Un premier contact très particulier avec cet auteur, prix Nobel de littérature. J'ai été séduit par la construction du roman, beaucoup moins par l'ambiance générale et le style de l'auteur, malgré quelques très beaux passages. Peut-être n'ai-je pas choisi le meilleur texte pour un premier contact avec l'oeuvre de Kawabata. Ne voulant pas rester sur cette première impression, je renouvellerai l'expérience avec une autre oeuvre.


  
  

dimanche 27 avril 2014

L'ouragan




L'ouragan de Daniel Martinange aux éditions Stéphane Million Editeur



   Antoine a la cinquantaine, célibataire, il est agriculteur. Se trouvant sans charme il ne s'attend pas la rencontre qui va chambouler sa vie. La rencontre exotique de la Patagone Bahia, une femme de tempérament qui jette son dévolu sur lui. Elle met de la lumière et de la fantaisie dans sa vie morne depuis l'enfance. Il ne s'est jamais senti aimé, on ne lui jamais porté la moindre attention.


   Un jour Bahia reçoit la visite d'un compatriote, une connaissance de sa précédente vie. Alors qu'ils étaient en pleine discussion, Antoine rentre à la maison et c'est le drame. Antoine fou de jalousie commet l'irréparable. Il prend alors la fuite pour échapper à la police accompagné d'une jeune fugueuse nymphomane.



   Cette fuite va l'emmener de la France aux Etats Unis, puis à l'Argentine. Lors de son périple il va rencontrer des personnages hauts en couleur : une américaine albinos, un fakir devin, un indien sédentaire. Mais partout sur son chemin qui le mène vers le pays natal de sa bien aimée, il est poursuivi par sa culpabilité et par l'image de Bahia. Il ne pense qu'à elle.


  "Aux tripes la hantise du lendemain, amputé de celle qui l'avait sauvé de l'enlisement, il guettait les fesses d'une aguicheuse pleurnicharde qui traquait une araignée . Comme celle qu'enfant il nourrissait  dans un carton à chaussures, de mouches et de confidences. Une mère aléatoire, un père abruti de travail, seule l'araignée l'écoutait. Lorsqu'il la lâcha sur son lit, elle ne s'échappa pas. Elle mourut à Noël. Plus tard il y eu Bahia"


  "Depuis sa rencontre avec Bahia il n'avait plus cerveau ni sexe. Mais dans sa tête et son entrejambe un organe unique et indéfinissable, tout à elle dévolu. Se liquéfiant en elle il recevait  en retour un torrent d'énergie, il se rechargeait. Erectile jusqu'au ciel, il décrochait les étoiles. Elles tombaient sur la Terre, il se vautrait dans un tapis d'étincelles."


   Tout au long du roman nous sommes emportés par les mots de Daniel Martinange, chamboulés comme par l'ouragan qui bouscule la vie d'Antoine. Nous sommes envoûtés par le style à la fois poétique et cru de l'auteur, par la construction de ses phrases qui elles aussi semblent avoir subi les bourrasques de cette tornade irrésistible. Nous nous attachons à ces personnages hauts en couleur et tous à leur manière cabossés par la vie.  Daniel Martinange nous offre un beau voyage et une superbe histoire d'amour.



vendredi 25 avril 2014

Noces de charbon




Noces de charbon de Sophie Chauveau aux éditions Gallimard


   C'est l'histoire de sa famille que nous raconte ici Sophie Chauveau. Une passionnante saga qui  va traverser le XXème siècle. Une saga qui tourne autour du charbon, ce minerai adoré ou honni. Le charbon qui va unir et diviser les membres de cette famille.

   Tout commence dans les années 1900, du côté de Larivière, le charbon on connait. Le père, Adolphe,  d'abord journalier; va à force de ténacité et de travail  réussir à se faire embaucher comme mineur. De toute façon dans cette région du Nord Pas de Calais, il n'y a pas trop le choix. C'est une vie dure, sans horizon. "Qu'est ce qui les fait se lever le matin, ces gens là de si peu d'espérance". Pourtant la famille Larivière, avec ses nombreuses filles est un modèle. "Une chose pourtant étonne chez Catherine Tranoy et Adolphe Larivière : ils s'aiment et transmettent à leur petits cette chose précieuse entre toutes, la solidarité, sorte de vade-mecum pour la misère. Tous les membres de cette famille s'épaulent, se soutiennent, se soucient les uns des autres. Une fleur exotique pousse par oubli chez ces gens de peu, floraison bizarre mais persistante, la générosité. De la tendresse et même de la délicatesse."


   De l'autre côté il y a les Fourny. On fait leur connaissance au mariage d'Hyppolite et de Juliette. Mariage en grande pompe dans la cathédrale d'Amiens, mariage arrangé. Hyppolite est un brillant ingénieur polytechnicien qui va faire carrière dans les charbonnages. De tendance radicale socialiste, il va lutter avec les grands patrons pour améliorer les conditions de travail des mineurs. Sa femme, elle ne se préoccupe que de ses toilettes et de décoration.


  Le point commun entre ses deux familles qui vont finir par s'unir est le fait que les enfants ont tout fait  pour fuir cette région si triste qu'est le nord. Ce charbon qui donne a tout cette couleur noire de deuil. Ce destin d'esclave moderne enterré vivant. Les descendants vont donc se retrouver à Paris. Les descendants des Larivière (mineurs) vont couper toute relation avec le charbon, ce minerai qu'ils jugent responsable de tout leur malheurs tandis que les Féry (patrons) vont constituer leur fortune en étant grossiste en charbon pour la région parisienne.


 Ces deux familles dont les opinions politique religieuses divergent. Ces deux familles dont l'une sera plutôt collobo et l'autre plutôt résistante pendant la seconde guerre mondiale, ces deux familles vont donc s'unir par un mariage forcé par une grossesse non désirée. C'est dans cette famille si divisée que va naître l'auteure qui va être marquée par cette lutte intestine et permanente. Une enfance marquée par l'indifférence de parents immatures dont le seul but dans la vie et de s'étourdir pour oublier ce climat et par la figure tutélaire de sa "Mamine" adorée. Un roman à la fois passionnant et émouvant. L'histoire d'une famille divisée qui épouse les divisions historiques de la population française au cours de ce XXème siècle.

mercredi 23 avril 2014

Haut le choeur




Haut le choeur de Gaëlle Perrin-Guillet chez Rouge Sang Edtions



    Alix Flament, jeune journaliste, a dû se résoudre à quitter la rubrique faits divers qui avait tendance à agir sur son moral. Elle est maintenant journaliste politique sans grand enthousiasme. Sa carrière a connu son sommet il y a quelques années lorsqu'elle avait interviewé Eloane Frezet, une redoutable tueuse en série. L'affaire qu'elle traite en ce moment lui paraît bien fade en comparaison. Il s'agit des frasques d'un homme politique accusé de viol.


    Une nuit, la jeune journaliste reçoit un appel de cette dangereuse criminelle avec qui elle s'était entretenue en prison. Entretiens qui avaient fait l'objet d'un livre à succès. Eloane Frezet lassée d'attendre une remise de peine plus qu'improbable a décidé de prendre le taureau par les cornes, elle s'est évadée. Maintenant qu'elle est libre elle va pouvoir continuer son oeuvre, comme elle appelle sa série meurtrière, mais aussi se venger de la journaliste.


    Aidée d'un policier avec qui elle avait travaillé sur la première enquête qui avait permis de mettre ce monstre sous les verrous, Alix va devoir comprendre, ce que Eloane entend par son oeuvre. Ensemble ils vont devoir se plonger dans le passée et notamment analyser la rencontre qui a fait basculer cette femme posée  dans le crime.


   L'intrigue de ce roman repose sur ce duel à distance entre les deux femmes, intimement liées

:"Complémentaires. Les deux femmes l'étaient aussi. Eloane avait été à l'origine de sa carrière, même si Alix s'en défendait chaque jour. C'est elle qui l'avait propulsée face aux médias, la portant aux nues en l'acceptant comme confidente.
    Elle luit avait donné la gloire. La reconnaissance aussi. Toutes les portes s'étaient ouvertes face à la jeune journaliste qui n'avait eu qu'à choisir sa voie.
    Et Alix avait aussi, quant à elle, dessiné la route du destin d'Eloane Frezet : elle l'avait renvoyée derrière les barreaux  grâce à son livre, la laissant là où elle devait être, loin de la société.
    Deux faces d'une même pièce, liées par la fatalité et la douleur."


   Haut le choeur est un roman haletant, rythmé par le jeu de piste macabre proposé aux policiers et à la journaliste  par cette criminelle machiavélique et bien déterminée à poursuivre son oeuvre et la mener à son terme. Un roman qu'une fois commencé on ne peut plus reposer.

   Haut le choeur a reçu  Le prix de Polar 2014 Dora Suarez Le Blog


mardi 22 avril 2014

Météo marine




Météo marine de Fabienne Rivayran aux éditions Jacques Flament Editions




Vendredi

Lisa appelle les pompiers la maison en face est en feu. Elle s'inquiète pour son voisin, Pierre, qui doit toujours se trouver à l'intérieur. Elle se souvient de leur rencontre.


Samedi

En attendant des nouvelles de Pierre, Lisa se souvient des événements qui l'ont amenée à déménager pour venir vivre sur le côte basque. Une partie de sa vie qu'elle a racontée à Pierre. Pierre dont elle sait très peu de choses tant il reste discret sur sa vie;

    "- C'est quoi votre job ?
      - La photo. C'est quoi votre café?
      - Ethiopie pour la structure et Equateur pour les notes de cacao.
      - Comment vous savez tout ça? Vous avez travaillé dans le café?
      - Non pas travaillé. J'ai voyagé dans le café.
      - Et vous avez travaillé dans quoi?
      - ... Le béton.
      - Et maintenant ? Vous êtes à la retraite?
      - La retraite? Non , maintenant je vis."

Dimanche

Lisa va explorer la maison de Pierre pour trouver des papiers, des informations, savoir s'il a une famille à prévenir. Elle y fait une découverte qui va la bouleverser.

Lundi

Lisa apprend que Pierre va mieux, elle se souvient de ce qu'il lui a apporté.


Météo marine, c'est la météo du moral de Lisa, son évolution à mesure que les nouvelles sur la santé de Pierre lui arrivent, à mesure qu'elle intègre les informations qu'elle découvre à son sujet . " Lundi  Mer encore agitée. Forte houle. Brumes et brouillards se  dissipant si éclaircies."

Le style de Fabienne Rivayran épouse cette métaphore de la météo marine. Des mots, des actions des phrases scandées comme des bourrasques de vent marin, les émotions de Lisa qui nous sautent au visage comme de paquets de mer :

   "Fauteuil. S'asseoir, ne pas bouger. Ecouter dans le silence battre son coeur. "Madame Barbey? Madame Lisa Barbey?" Poser les mains sur les yeux. Appuyer. Lutter contre la tempête. "... mari est hospitalisé... les médecins sont très rassurants." Roulis. Nausée. Inspirer. Regarder autour de soi, points fixes, buffet, table , chaises, livres , vase, fleurs. "... naufrage dans la nuit de vendredi..." Fixer le bord du tapis. Lignes droites, laine épaisse, moelleuse. Tache en bas à gauche.  "Deux billets..." Ventre à la dérive, bile au bord des lèvres. "Deux billets ..." Coeur crucifié. Hurler. Courir. Vomir. Larmes noyées dans la cuvette. Corps échoué sur le carrelage. Immobile, essoufflée, broyée. Coulée."

Avec cette nouvelle, Fabienne Rivayran nous embarque pour une traversée mouvementée, une traversée pleine d'émotions, on est bousculé par l'histoire de ces deux personnages, ému par leur rencontre, intrigués par les silences de Pierre. Une réussite.


lundi 21 avril 2014

La nuit grecque



La nuit grecque de Pierre Vens aux éditions Albin Michel



    Vincent, la quarantaine vit une période difficile professionnellement, les banquiers, les actionnaires ne lui font plus confiance pour gérer son entreprise. La société est au bord de la faillite, il faut trouver de l'argent pour honorer les salaires des employés et payer les fournisseurs. Vincent est constamment sous pression, son téléphone ne cesse de sonner, il passe son temps au travail à essayer de trouver une solution pour sauver son entreprise.


    A la maison, la situation n'est guère plus enviable, son mariage aussi est au bord de la faillite. Miné par ses soucis professionnels, il  n'a plus le temps de s'occuper de sa femme et de son fils, il vit avec eux mais sans les voir. La vie du foyer repose sur les seules épaules de son épouse.


   Afin de recouvrer une créance qui pourra au moins servir à payer les salaires de ses employés, Vincent se rend en Grèce. Epuisé par le stress, il s'accorde une soirée de répit : La vodka a succédé au vin blanc et Vincent boit trop. Rester au bar, assumer la solitude , perdre le contrôle. Voilà, c'est ce que veut Vincent, cesser de maîtriser, d'anticiper, de prévoir." C'est dans ce bar, dans les vapeurs de l'alcool que Vincent va tomber sous le charme d'un sourire, celui de Théo avec qui il va passer la nuit.


   Une relation ambiguë, entre plaisir et douleur, entre enfer et paradis va se nouer entre les deux hommes. Vincent l'homme responsable, chef d'entreprise, et le jeune homme passionné de mode, oisif  et capricieux. Une relation dont il ne peut plus se passer. "Il est persuadé que, sans cette frénésie du corps, sans cette relation qui ne se conçoit qu'au moment précis où il l'expérimente, qui ne s'inscrit  dans aucun passé et qu'il n'arrive pas à conjuguer avec sa vie de couple ni avec son rôle de père, il n'arriverait pas à affronter le réel."  Dans le même temps les actionnaires réussissent à faire démissionner Vincent. Après la perte de son emploi, il finit par révéler son homosexualité à sa femme. Ses relations avec Théo, se détériorent et ils finissent par se séparer. Vincent a tout perdu.


   Sept ans plus tard, Vincent a repris sa vie en main, il a retrouvé du travail et vit bien sa nouvelle sexualité. Il découvre que son ancien amant a légué à son fils une maison dans une Ïle grecque. Il s'y rend pour comprendre le pourquoi de ce legs. Il découvre que son ancien amant a disparu et qu'il était malade. Il va découvrir alors que Théo était bien plus complexe qu'il ne le pensait.


    La nuit grecque, nous montre le cataclysme que peut représenter dans une vie la découverte par un homme d'une identité qu'il ne se connaissait pas. Pierre Vens nous décrit avec poésie, franchise et parfois crudité la naissance d'une passion, la destruction qu'elle engendre, une sorte d'apocalypse dans son sens originel de révélation. La nuit grecque étant cette période d'obscurité, de doute et de violence avant la renaissance que représente une nouvelle journée.  Un premier roman très réussi.

dimanche 20 avril 2014

L'apparence de la chair



L'apparence de la chair de Gilles Caillot aux éditions Toucan Noir


   Sylvie Branetti, capitaine de police a subi un grave traumatisme. Quinze ans après, elle est toujours suivie par un psychiatre, elle essaie de se souvenir des détails de l'horreur qu'elle a vécue grâce à l'hypnose. Il y a quinze ans, elle s'est retrouvée face à face avec le Tanneur, un dangereux serial killer qui dépèce ses victimes et recoud leur peau sur les victimes suivantes.


  Le capitaine Branetti et son équipe ont failli mettre la main sur ce monstre. Ils sont passés si près, que notre héroïne s'est retrouvée entre les mains du criminel qui lui a fait comprendre qu'il détenait sa fille, Lila. Ses coéquipiers l'ont libéré des griffes du Tanneur mais la jeune policière a subi un choc et ne se souvient de rien qui pourrait l'aider à retrouver la piste du serial killer. Contrairement à ce que lui disent ses collègues, elle est convaincue que sa fille est toujours vivante. Alors quand son ami et ancien amant le capitaine Benito l'appelle pour lui annoncer que quinze après le Tanneur a repris du service, Sylvie, perturbée, n'a plus qu'une idée en tête, retrouver sa fille et se venger du monstre.


  Des amis blogueurs spécialisés dans le polar et le thriller m'avaient prévenu, il m'avaient dit que ce roman était de la "bombe". Toujours prêt à découvrir de nouveaux auteurs, je me suis laissé tenter. Tentation confirmée par la rencontre de l'auteur à Quais du Polar à Lyon cette année. Bien m'en a pris. Gilles Caillot nous mène par le bout du nez du début à la fin de ce roman, semant les fausses pistes et orchestrant sa partition de main de maître. Franck Thilliez, un des maîtres du thriller français ne s'y est pas trompé en qualifiant de "bluffant" ce roman.

  La critique sociale n'est pas non plus à négliger dans ce roman qui peut être qualifié de thriller noir.

  "Tout part en vrille. La France n'est plus le pays que j'aimais. Ce pays qui défendait des valeurs simples. Elles ont disparu petit à petit, insidieusement. La surenchère médiatique combinée au manque d'action des politiques ont fait d'elle ce qu'elle est aujourd'hui. La France a perdu sa majuscule, laissant la loi du plus fort  remplacer le respect d'autrui."

ou

   "Si on regardait la zone d'un avion, je suis persuadée qu'on y verrait une plaie infectée charriant une flopée de virus et autres bactéries malfaisantes, résultat de l'avènement de la discrimination sociale. L'aboutissement de la connerie du fric facile. Ce coin d'horreur me rappelle ce que nous avons collectivement oublié : l'humanité."


  En bref ce très bon thriller est pour moi une découverte et j'attends avec impatience de pouvoir découvrir les autres romans de cet auteur très prometteur.

jeudi 17 avril 2014

Rester sage



Rester sage d'Arnaud Dudek aux éditions Alma Editeur



   Martin 32 ans est un homme tout ce qu'il y a de plus banal, il mène une vie rangée sans fantaisie. " Martin vivait par ailleurs avec Justine, une femme douce et délicieuse, comme souvent. Leur existence était confortable, faite de promenades en forêt de jus d'orange sans pulpe de prélèvements automatiques sur compte commun et d'amis assortis au tapis du salon." Une vie rangée donc, jusqu'au jour ou l'agence de voyages qui l'employait, lui qui détestait voyager, décide de se passer de ses services, très vite imitée par Justine qui fait ses valises.


  Martin qui jusque là était toujours stoïque décide de se rendre chez l'ancien propriétaire de l'agence qu'il estime responsable de la perte de son emploi. En effet celui-ci a vendu son agence à un groupe afin de couler une retraite paisible au bord de la mer. Martin armé d'un marteau est remonté et bien décidé à se faire entendre. En attendant de passer à l'action il s'arrête dans un bar où il croise un ancien camarade de classe qu'il croit plus verni que lui.


   Dans ce court roman, Arnaud Dudek nous narre avec un style incisif plein d'ironie et de dérision la remise un question d'un trentenaire qui voit sa vie s'écrouler, et qui pour une fois, lui qui avait décidé dès l'enfance de rester sage pour s'éviter les ennuis, décide de prendre le taureau par les cornes pour redonner un sens à sa vie. "N'empêche, partir ainsi, foncer sans plan ni méthode, cela ressemble si peu à Martin. Ses comptes sont parfaitement tenus dans un cahier de brouillon, lignes tirées à la règle, colonne recettes, colonne dépenses. Dans le troisième tiroir de son bureau, un classeur contient tous ses bulletins de salaire. Lessive hypoallergénique, gel douche sans parabène, déodorant sans aluminium, nettoyant multi-usage taches tenaces, son quotidien est net aseptisé. Difficile d'y improviser quoi que ce soit."


   La réussite de ce roman tient à l'humour grinçant qu'utilise l'auteur pour décrire des situations peu propices au rire, à des portraits savoureux et à des digressions pour le moins étonnantes comme celle de l'Escalator. En bref ce roman au style ciselé est un excellent moment de lecture et j'attends avec impatience une nouvelle oeuvre de cet auteur.

mercredi 16 avril 2014

La blancheur qu'on croyait éternelle




La blancheur qu'on croyait éternelle de Virginie Carton aux éditions Stock


   Lucien est pédiatre, célibataire, il approche de la quarantaine. Il n' pas d'amis, n'en n'a jamais eu ou alors pas longtemps. Il a une passion pour Jean-Louis Trintignant. Passion qui le pousse à prendre le chemin de Deauville à bord d'une Ford Mustang de location en souvenir du film Un homme et une femme de Claude Lelouch.

 
  "Lucien filait sur l'autoroute , la musique de Francis Lai dans l'habitacle, alors que les plaines fuyaient à toute allure, cédant peu à peu la place aux vallons blancs. Il était comme un enfant, comme un fou, roulant vers un rêve, au milieu d'un rêve."



    Mathilde est vendeuse en chocolaterie, comme Lucien elle n'a que très peu d'amis, elle a du mal à se remettre de sa séparation d'avec Julien qui pourtant commence à dater. Toute petite elle a été marquée par la mort de Romy Schneider et en a conçu une véritable passion pour l'actrice. Mathilde est sans arrêt harcelée par sa mère qui lui reproche d'être  encore célibataire et que son métier ne corresponde pas au poste auquel elle pourrait prétendre suite à de brillantes études. Sa mère ne cesse de la rabaisser.


   " Jamais elle ne lui avait dit, à elle, qu'elle était une brillante enfant. La replonger dans ses douleurs de petite fille, c'était non seulement  la maintenir dans ce rôle, mais aussi refuser de lui reconnaître  le chemin parcouru et son son éventuelle légitimité à devenir mère à son tour."


  Le destin de ces deux êtres décalés par rapport à leur époque vont se croiser à plusieurs reprises. Ils habitent sans le savoir dans le même immeuble.

 
Les personnages de Mathilde et Lucien sont très attachants car ils rappellent à chacun d'entre nous une part de nous mêmes. Nous avons tous en nous le même désir que Mathilde, imitant Romy Schneider, qu'on nous laisse tranquille, de vivre dans notre bulle avec nos passions sans se laisser aller au diktat de la mode. Nous aussi comme Lucien nous pouvons avoir envie sur un coup de tête de prendre la route pour Deauville avec dans les oreilles les musiques qui ont bercé notre adolescence même si l'on sait qu'il ne reste pas grand chose de Deauville sans Trintignant.

 

mardi 15 avril 2014

L'ange sanglant



L'ange sanglant de Claude Merle aux éditions MA Editions



   Nous sommes en Hollande, à Hertogenbosch au XVIème siècle. Une jeune femme vient d'être retrouvée sauvagement assassinée.  Pieter Van Ringen, le bailli de la ville, est chargé de l'enquête. C'est un ancien soldat qui a vécu de nombreuses campagnes . Très vite Jacob Dagmar, médecin et alchimiste et accusé de sorcellerie par une partie de la population est soupçonné du meurtre de sa servante. Son prestige en haut lieu le met à l'abri d'une arrestation immédiate.


   Les meurtres se multiplient dans la région. Tous marqués par la même sauvagerie et un souci certain de la mise en scène. Jacob, le médecin alchimiste vont coopérer pour essayer de mettre un terme à la macabre série. Les qualités scientifiques, la grande culture et le constant questionnement  de Jacob sur la nature humaine vont être d'une grande aide pour le bailli qui est vite dépassé par les événements. "Comprendre les hommes, le fonctionnement de leur corps, le mécanisme de leur pensée, l'influence de leurs croyances ou de leurs superstitions , il avait consacré sa vie à ce labeur sans vraiment y parvenir. Les êtres vivants étaient complexes, imprévisibles, contradictoires, victimes et bourreaux, saints et démons, intelligents et bornés, faibles et fort suivant les saisons."


 Le médecin remarque que tous ses crimes ont en commun leur proximité avec l'ambiance des tableaux de Jérôme Bosch. Le maître lui-même va participer à l'enquête.


  Dans ce thriller historique, Claude Merle nous plonge avec succès dans l'univers de Jérôme Bosch. Ses descriptions détaillées des scènes de crime, de l'ambiance régnant dans le pays, sont d'une précision picturale qui n'ont rien à envier à l'art du maître flamand. Ce roman qu'on ne peut lâcher une fois commencé est une réussite.


Jérôme Bosch Le jugement dernier

 

lundi 14 avril 2014

Un été à Pont Aven



Un été à Pont-Aven de Jean-Luc Bannalec aux éditons Presse de la Cité/ Terres de France


 
 Le commissaire Dupin a été muté en Bretagne il y a trois ans suite à des soucis avec sa hiérarchie. Lui qui avait passé sa vie dans la capitale ne pensait pas s'acclimater aussi vite et aussi bien à la Bretagne et au caractère des bretons. Un caractère particulier que le commissaire se plaît à analyser en profondeur non seulement dans le cadre de son travail, mais aussi pour son plaisir personnel .

 
"  Après sa "mutation", il s'était lancé, d'abord à contrecoeur puis avec un intérêt croissant dans l'étude de l'âme bretonne. Au delà du contact réel avec les habitants du coin, c'était précisément ces petites histoires d'apparence anodine qui lui fournissaient les informations les plus précieuses sur la région."


   Sa lecture des nouvelles régionales est brusquement interrompue par un appel de Pont-Aven. Pierre-Louis Pennec, un notable de la ville a été retrouvé assassiné. Propriétaire du Central, hôtel historique de le petite cité finistérienne, Pennec est le descendant de Marie-Jeanne Pennec qui avait créé cet hôtel pour héberger la colonie de peintres, tels que Gauguin (le plus célèbre d'entre eux) venus profiter de la luminosité particulière de la Bretagne et de ses paysages. Autant dire que l'assassinat d'une telle personnalité juste avant l'ouverture de la saison estivale est du plus mauvais effet. Le commissaire va être soumis à la pression de sa hiérarchie et des élus pour résoudre cette affaire compliquée dans les meilleurs délais.


   Si l'enquête policière décrite dans ce roman paraît bien classique, le roman est très agréable à lire. On pourrait presque dire que l'intrigue policière de ce roman n'est qu'un prétexte pour l'auteur, écrivain allemand écrivant sous pseudonyme à consonance bretonne, pour exprimer son amour pour la Bretagne (sa deuxième patrie) et pour son peuple taiseux et têtu mais au combien authentique. La Bretagne apparaît comme un personnage à part entière de ce roman, tout comme l'âme bretonne.

jeudi 10 avril 2014

Mémoire fauve



Mémoire fauve de Philippe Will aux éditions Alma Editeur


     
 Une jeune femme devient membre du Hell's Club, un club de sport. Elle est investie d'une mission et s'y emploie de toutes ses forces. Elle doit cependant être discrète ne pas se faire repérer par les prédateurs et par les sbires qui fréquentent eux aussi ce club. Quand elle n'es pas à la salle de sport, elle conseille un de ses amis aspirant politicien.


       Au Hell's Club, elle soumet son corps à des efforts de plus en plus violents qui l'entraînent à la limite de la syncope. Elle y fait la rencontre du Nouveau qui va la bouleverser avec son "regard intergalactique". Elle ressent une profonde attirance pour le Nouveau tout en se posant des questions. "Je suis excessivement perturbée. D'un côté, le Nouveau ne fait pas partie de la Mission. De l'autre, il y a cette voix - sans doute la mienne - qui dans ma tête, pose les questions d'usage. Est-ce lui? Est-il celui que j'attends? Que se passe-t-il d'habitude lorsqu'un inconnu allume dans vos yeux les feux de la porte d'Orion?" Puis arrive "l'accident".


       Nous retrouvons notre héroïne sur un lit d'hôpital, en hôpital psychiatrique, amnésique, elle ne se souvient pas de son nom, de son enfance, tout ce dont elle se souvient son psychiatre lui demande de l'écrire dans un cahier. Ce texte englobe uniquement la période de sa vie où elle a commencé à fréquenter la salle de sports. Un long processus de reprise en main s'opère alors dans lequel elle va essayer de reprendre sa vie en main et de rassembler les éléments de son histoire personnelle.



      Ce roman très déroutant dans sa première partie "Période Fauve" qui est en fait le récit de la période avant "l'accident", un récit imprégné  de l'esprit malade de la narratrice. Si déroutant, si perturbant qu'on est parfois tenté d'abandonner la lecture. Tout s'explique dans la seconde partie la "Période Blanche". On y comprend ce qui a mené l'héroïne à de telle extrémités. L'auteur en profite pour égratigner une société basée sur la paranoïa collective. Paranoïa érigée en mode de vie et  exploitée par les médias notamment dans la téléréalité.


      Mémoire fauve est un roman qui se révèle passionnant une fois passée une première partie plutôt déroutante. Un livre au ton brutal et direct qui ne laisse pas indifférent.


      

mardi 8 avril 2014

L'enfant tombée des rêves




L'enfant tombée des rêves de Marie Charrel aux éditions Plon




    Emilie, douze ans vit avec ses parents et son frère. Elle est solitaire, pleine d'imagination, et ne communique pas beaucoup. Ses parents se sont inquiétés et ont consulté pensant qu'elle pouvait être autiste. Seule sa grand-mère décédée avait réussi à la comprendre :


   "Mamie, elle, savait ce qui se passe dans ma tête lorsque j'observe : j'enregistre les mots; Tous les mots que j'entends, lis et découvre, en permanence, sans exception. Pronoms, déterminants, conjonctions, prépositions et surtout adjectifs, adverbes, noms, verbes : je les collectionne. Je les classe. J'enregistre et je collectionne parce que pour moi les mots ne se résument pas à un simple alignement de lettres permettant de communiquer. Ils sont bien plus que cela."


   Emilie s'est créé un ami imaginaire, Croquebal , un ogre mangeur de mots, qui la débarrasse des mots qui lui font mal. C'est à lui qu'elle confie tous ses problèmes, toutes ses questions car ses parents ne lui répondent jamais .Sa mère se cache derrière des "mensonges ordinaires", ces mensonges que les adultes font pour éviter de répondre à des questions embarrassantes quant à son père, lui il fuit carrément.


   Emilie fait des cauchemars, la nuit, elle rêve qu'elle tombe d'un balcon et s'écrase sur le sol.  Emilie,  pour conjurer ses rêves, peint cette scène où elle tombe, elle agit pour les rêves comme pour les mots qui l'oppressent,  qu'elle donne en pâture  à Croquebal. En découvrant la réaction de ses parents lorsqu'ils voient sa peinture pour la première fois lors d'une exposition à l'école, Emilie se rend compte que ses parents lui cachent un terrible secret, qu'elle va tout faire pour découvrir.


     Parallèlement, nous suivons l'histoire de Robert, médecin d'une soixantaine d'années exilé en Islande. Lui aussi fait le même rêve mais lui sait pourquoi. Quand Emilie cherche à tout prix les causes de ce rêve, Robert, lui fait tout pour enfermer son passé dans des poupées russes et oublier.



   Dans ce très beau roman, Marie Charrel, nous montre les dégâts que peuvent causer les non-dits au sein d'une famille. L'auteure met l'accent sur  l'importance des mots, des mots pour nommer (quête de l'identité), des mots pour dire les choses, ne pas les laisser sous silence. Ce roman est aussi une métaphore du métier d'écrivain  :

"... on peut faire autre chose avec les mots que les dévorer tout crus.
-Ah oui,
-Oui. Même avec les mots balagan. Plutôt que de les croquer, on peut les dompter, les dresser, les classer. On peut les secouer, les colorer, les nuancer, ou encore les mélanger et les réassembler. Cela donne de la prose ou des vers. Mais aussi des fariboles, des contes, des poèmes, des chroniques, et mêmes des salamalecs, des carabistouilles, des histoires à coucher dehors ou à dormir debout."